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Prescience

Un vieux post tiré des entailles de l'ordinateur...



Un jour de juillet 1998, nous prenions le ferry pour la Corse à partir de l'Italie. Sur le quai, je m'aperçus que les passagers se préparaient à un match de football: France Italie .

Ambiance bon enfant, des supporters bruyants mais sympathiques, un grand beau soleil méditerranéen, un ferry à grand vitesse, une courte traversée, l'idéal me dis-je.

Erreur. Erreur magistrale.

Quelques minutes après la sortie du port, nous approchons d'une sorte de tempête, d'un gros grain disons - étant très peu marin, je ne saurais dire. Nous ne pouvons (pûmes devrais-je dire tellement le son est amusant) sortir sur le pont prendre l'air - sécurité oblige. 

Le bateau se met à accélérer. Et commence un mouvement infernal, venu tout droit de l'imagination malades de Dieu ou de ses diables: le bateau prend la vague, monte, monte.... monte.... et redescend vivement dans une chute interminable pour cogner enfin la mer.. et recommencer. L'équivalent de ce qu'on appelle en aviation légère (j'ai tant amé le deltaplane...) une "dégueulante" pour caractériser le flux d'air descendant qui vous précipite vers la terre... et bien sûr pour une autre raison que je m'excuse par avance de décrire ici.

Après une dizaine de minutes de ce régime, alors que les cris des supporters résonnent dans la pièce où 300 personnes s'entassent sur leurs sièges, je prends conscience d'un malaise grandissant autour de moi. Les cris diminuent d'intensité, le ciel sombre confère à la scène une atmosphère un rien menaçante, insensiblement quelque chose change.

Soudain je vois un pauvre hère partir aux toilettes d'un pas mal assuré et revenir quelques minutes plus tard. Je peux enfin voir son visage. Il est vert.

Véritablement vert. C'est la première fois que je vois une chose pareille. Je le vois roter piteusement, essuyer la transpiration qui coule à grands flots de son front, mesurer avec angoisse la distance qui le sépare de son siège, rassembler son courage, ses dernières forces et se projeter en avant comme s'il voulait ne pas réfléchir à l'acte fou qui consiste à effectuer quatre pas sur ce bateau ivre...

Je le plains. Sincèrement. Je ressens une vraie compassion pour cet inconnu qui semble malade à crever. Rétrospectivement je suis bien obligé d'avouer que cette compassion ressemblait fort à une sorte de prière pour ne pas partager son sort.

Dix minutes plus tard c'est mon tour.

Je n'ai pas bu, pas mangé plus qu'il ne faut... mais je sens la nausée monter en moi comme une sorte de marée boueuse. Je ferme les yeux. Elle est encore là, plus forte, cette hyène ricanante... Le bateau monte et descend sans pitié. Tout mes efforts physiques et mentaux pour résister sont vains, elle est en moi, je sais que je vais être malade et cette simple pensée déclenche une vague de nausée inouie: je me rue aux toilettes.

Je ne sais comment je parviens à la porte en enjambant les corps et les sacs sur ce plancher traître. Je repère des chiottes, Miracle! ils sont vides, je saisis la porte.

Elle me reste entre les mains.

Ne me demandez pas comment j'ai fait, je n'en sais rien, je me retrouve avec  la porte dans la main gauche. Je tente en serrant les dents de la remettre en place, peine perdue. J'accepte la honte d'exhiber mon fondement au monde entier en m'agenouillant pour gerber mes entrailles dans la cuvette constellée par mes prédécesseurs. Je gerbe avec une puissance rarement atteinte, même au plus fort de mes délires éthyliques, avec la jouissance de me soulager et de songer que la séance va me permettre de retrouver mes esprits, dormir un peu, bref, oublier tout ça. C'est gore, pas vrai? Comme disait Ricky Gervais "I warned them". Au fond de l'enfer, j'entrevois le paradis comme une destination lointaine.

Je regagne mon siège. Non: j'essaie. Je me vois comme ce pauvre bougre trente minutes plus tôt, vert, couvert de sueur glacée, chemise collée au corps, sans force, avec pour seul et dernier objectif de s'effondrer dans son siège. Je me jette dans l'espace. Sauvé !

Il me faudra deux voyages supplémentaires pour définitivement me débarrasser de tout fluide superflu. Je me sens comme vidé de toute substance, de tout ce qui a été sale ou propre dans ma vie. Le Nutella de la semaine dernière. Les clopes, les joints, l'alcool, tout ce qui fait que mon âme a été celle d'un mécréant infâme, une pourriture à la surface du globe, une insulte au regard de son créateur auquel je jure de croire s'il peut me débarrasser de cette torture..

Je meurs chaque seconde. Je ne peux plus bouger, pire que les immobilisations en judo. Je vais mourir. Je vais finir par claquer d'une diastole foireuse... Au bout d'un temps indéfinissable, je perds conscience. Ce n'est pas du sommeil, c'est autre chose. Je m'absente, je suis entre parenthèses. Je n'ai rien décidé bien sûr, j'ai juste laissé faire, j'ai abdiqué tout désir, je n'ai même plus peur. Advienne que pourra.

 Même pas vu le mot "fin" au générique.

...

Je me réveille. On ne peut pas dire que je sois brillant ni même fondamentalement mieux mais je ne souffre plus, ce qui est déjà bien. Je ne peux pas bouger. Je n'y arrive pas et je n'en ai même pas envie.

Quelle heure? aucune idée. J'apprends je ne sais comment que la Corse est à vingt minutes. Je me souviens que mon père engloutissait une menthe à l'eau à Marseille en revenant d'Algérie. Une menthe à l'eau, oh oui, oh oui, voilà mon espoir. En attendant il est inutile de bouger autre chose que les yeux.

La salle est en plein chaos. Les trois quarts des passagers sont recroquevillés dans leur fauteuil dans des odeurs inqualifiables. Je plains les femmes de ménage... Evidemment le match ne passionne plus grand monde. Personnellement, je m'en fous au-delà de toute expression. Je n'ai jamais beaucoup aimé le foot et dans ces circonstances mon désintérêt tourne au détachement yogique. La seule chose qui compte c'est de sentir que je peux respirer, juste respirer sans bouger.

C'est l'heure des tirs aux buts, des penalties. Et là il se passe quelque chose d'étrange. Je devine le premier. En fait je l'annonce.

Idem pour le deuxième. Je l'annonce. Je ne parie pas. Je ne joue pas avec ma connaissance du jeu ou des joueurs qui est proche du néant. Je regarde le joueur s'approcher, le gardien se mettre en place et j'annonce le score. Et j'ai raison. Et je m'en fous. Je m'en fous vraiment. Je ne me dis pas "Wow Qu'est ce qui m'arrive?" ou bien " woua j'ai gagné". Non, je m'en fous. La seule chose qui compte c'est la menthe à l'eau.

Une fois, trois fois, six fois. Le résultat est inévitable. Il me semble une évidence.

Je me détourne du spectacle et retombe dans ma délicieuse immobilité mentale. Je n'ai pas envie de penser, pas envie de m'intéresser. Je veux juste être là et rien d'autre. Il faudra se lever, récupérer la voiture, débarquer, trouver la menthe à l'eau (le bistrot du port de Bastia doit en vendre des hectolitres), je réserve mon énergie que je sens revenir lentement pour ces choses difficiles et fondamentales.

Allons jusqu'au bout de la franchise: j'ai arrêté de prédire les penalties par ce que ce match ne m'intéressait pas (la finale de la coupe du monde 1998? j'étais sur une plage silencieuse, non vraiment je m'en foutais vraiment) et aussi parce qu'il me semblait sur le coup qu'il ne faut abuser de rien, même des instants uniques.

Car la seule vérité, c'est la menthe à l'eau.

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Que s'est -il passé ce jour-là? L'explication la plus rationnelle est que mon état de disponibilité mentale complète me permettait d'enregistrer les plus infimes détails de la situation. A la façon de bouger d'un joueur, je sentais sa situation mentale et donc je pouvais en déduire son action. Je ne peux aller plus loin dans l'explication. Si je pouvais disposer en Aikido de la moitié de la vigilance dont j'ai disposé ce jour-là, je serais ravi.

O Sensei je pense pouvait passer dans cet état très facilement. Ses années de méditation et ses prières dès le petit matin devaient le plonger dans un état proche de l'hypnose, bref une transe pour entrer dans la danse - et sans pillule. Ajoutons à cela les fondamentaux de l'awase, irimi pour épouser l'autre et le destin et tout ça...


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Illuminez la lisière obscure entre la vie et la mort.
Indifférent à tout ce qui peut arriver, vous devez être prêt à recevoir l’assaut ennemi dans toute sa violence, et regarder la mort en face.
Le chemin tracé entre les deux royaumes s’éclairera alors sous vos yeux.
- O Sensei, Budo

 

Gambarimasho! 

 

 


Transmission, héritage, émulation - 3


La traduction de ces textes est un travail assez long que je réalise quand j'ai le temps aussi le rythme est assez lent. La (re) parution récente de cet article dans Aikido Journal fournit le bon moment pour ce 3ème volet.

Le premier article ici, le deuxième et les originaux ici.

Les commentaires sur le texte sont à la fin mais je glisse au passage deux trois remarques à la volée qui n'ont pas plus d'importance que cela mais méritent d'être formulées, ne serait-ce que par mauvais esprit Image may be NSFW.
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***

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(a) Morihei Ueshiba ne fit aucune tentative pour «enseigner» les connaissances et les compétences qu'il possédait à ses deshi.
 
(b) Ces derniers ont tous acquis des connaissances profondes et des compétences pendant leur temps comme deshi, mais il est loin d'être clair qu'ils aient acquis tout le savoir possible ou que tous aient acquis les mêmes connaissances.
 
 (c) Morihei Ueshiba semble n’avoir fait aucune tentative spécifique pour vérifier si ses deshi avait compris ce qu'ils avaient appris de lui.


Dans le dernier article, j'avais étudié la première proposition du point de vue de Morihei Ueshiba en tant que professeur et discuté de la question de savoir comment, en tant que Japonais  ayant vécu pendant les ères Taisho et Showa, il pouvait considérer ce rôle. Morihei Ueshiba n'était pas seulement un professeur, ou un Maître, il était aussi la Source de l'aïkido et se perfectionnait lui-même constamment en tant que Source. (Ici, nous pouvons temporairement oublier l'importance cruciale de Sokaku Takeda et du Daito ryu, sauf pour noter la façon dont il prit ses distances avec Takeda et modifia cet héritage). Plus spécifiquement, j'avais nettement distingué entre (a) le Maître en tant que chercheur, acharné à accroitre sa propre compréhension ou la possession de l'art qu'il est en train de créer et (b) le Maître en tant que Professeur, ou transmetteur de son art à d'autres, soit en tant qu'expression "publique" et en évolution de l'entraînement "privé" d'un individu, soit en tant que "produit fini", façonné en un art reconnaissable et nommé aïkido.

On pourrait ici objecter qu'enseigner et apprendre ne sont pas deux choses distinctes et que de nombreux jeunes pratiquants ont observé que ce n'est que lorsqu'ils ont commencé à enseigner qu'ils ont commencé à comprendre ce qu'ils faisaient. C'est peut-être vrai mais cette observation semble être une conception "occidentale" de l'enseignement avec des explications structurées, un programme, etc. Cette observation signifierait aussi qu'apprendre l'art en détails nécessiterait d'enseigner l'art aux autres de façon séparée [de la pratique]. Clairement cette objection assume aussi qu'enseigner n'est pas le miroir d'apprendre mais une activité complètement différente, avec ses principes internes et ses stratégies. Cependant les exemples de l'apprentissage de l'ingénierie, de la médecine, des langues et de la philosophie, étudiés dans le premier article, montrent qu'au Japon, il n'est pas intuitivement évident que comprendre un art implique d'avoir à l'enseigner à d'autres.

(D'ailleurs pas plus au Japon qu'ailleurs tant il est vrai que la simple expertise ne permet pas de la transmettre automatiquement, les meilleurs entraîneurs ont souvent été des joueurs moyens et les meilleurs champions sont souvent de mauvais profs... La pédagogie est un art, une compétence en tant que telle - tout le monde a fait l'expérience d'un prof "génial", de quelques bons et d'un grand nombre de "moyens" pour rester charitable).

Je crois que pour Morihei Ueshiba, très certainement, enseigner et apprendre ne pouvaient si facilement être séparés mais ce n'est pas parce que ces deux activités étaient différentes. Je crois plutôt que c'est parce qu'il respectait le modèle traditionnel japonais et qu'il considérait enseigner et apprendre comme des miroirs réciproques, comme les deux côtés d'une même pièce. Ueshiba considérait l'entraînement - effectué de façon correcte bien sûr - comme la pratique de l'art mais il voyait aussi l'enseignement, si tant est qu'il le "voyait / distinguait " purement et simplement, comme une autre façon de "faire / pratiquer", à savoir être un modèle pour ses étudiants (d'où la signification du terme de shihan en Japonais) [modèle]. Ainsi, il aurait pu modifier la célèbre phrase de George Bernard Shaw, "ceux qui peuvent font, ceux qui ne peuvent pas enseignent" pour dire "ceux qui peuvent font, ceux qui font enseignent". 

Je crois que les deux termes de cette distinction effectuée dans le précédent paragraphe réapparaitront encore et encore lorsque nous considérerons Morihei Ueshiba du point de vue de ses deshi. (Quelques précisions de vocabulaire: dans la suite j'utilise de façon assez interchangeable les termes de deshi et uchi deshi. Un deshi est un étudiant de l'art impliqué tandis qu'un uchi manifeste son implication de façon plus flagrante en vivant 24 h sur 24 au contact du Maître. Il s'agit ici de se concentrer sur le Maitre en tant que modèle d'entraînement constant. C'est un engagement profond pour le Maître et son ou ses étudiants. Dans les interviews, une distinction importante est faite entre ceux qui étaient uchi deshi et ceux qui ne l'étaient pas). Bien sûr l'engagement est important pour le maître comme pour l'élève. Dans les entretiens une distinction importante est parfois effectuée entre les uchi deshi et les autres. Le matériel d'étude est ici la collection d'entretiens réalisés au fil du temps par Stanley Pranin, publiés en japonais entre 1990 et 1995 et publiée en deux volumes en 2006 dans une édition corrigée, révisée. Une série d'entretiens avec les deshi d'avant guerre publiée pour la première fois en 1993 qui est un des livres les plus importants jamais publié en anglais.Tous ces entretiens avec les deshis d'avant et d'après guerre sont disséminés dans Aiki news et Aïkido journal magazine mais l'intérêt de les avoir regroupés est de permettre de mieux considérer  l'énorme différence d'approche, d'attitudes et d'accomplissements (succès / réussite).

Je me suis limité à la version anglaise, Aïkido Masters, que j'ai pris la liberté de citer fréquemment. La version anglaise est plus limitée que l'édition japonaise en deux volumes. Mais elle est plus facilement accessible aux pratiquants en dehors du Japon et tous ceux qui ne lisent pas le japonais. Il existe des différences intéressantes entre la traduction et l'original mais ces différences ne retirent rien a l'ipmortance fondamentale du travail de pionnier de Stanley Pranin. Il est essentiel d'étudier ces entretiens et ceux qui le peuvent devraient les lire en japonais car la traduction ne peut rendre compte de certaines nuances de langage.

Un autre point sur lequel je voudrais attirer l'attention tient aux limites mêmes du principe de l'entretien (interview). J'insiste bien sur le fait que je ne veux en rien diminuer l'œuvre de Stanley Pranin. Les entretiens permettent aux interviewés de parler librement de leur expérience mais il n'est pas possible de vérifier la teneur ou l'exactitude des affirmations. Il nous faut donc faire confiance à la bonne foi du couple intervieweur / interviewé. Bien sûr, nous assumons ici que personne n'a exprimé volontairement des contre vérités mais nous devons aussi assumer que la vérité ait pu être redressée / tordue (slanted) en fonction des intentions informulées des uns et des autres. Ceci est difficile à dire mais il faut le faire. En dehors de ces limitations, les interviews ont bien sur fourni une information détaillée sur la façon dont les uchi deshi du kodokan voyaient Morihei Ueshiba et l'entraînement en aïkido.

Ceux-ci acquirent technique et connaissance mais il est loin d'être clair qu'ils aient acquis toute la connaissance ou que tous aient acquis la même. 

Au regard de la vaste documentation recueillie par Stanley pranin cette remarque ne devrait pas surprendre mais je pense que cela implique des conséquences importantes pour l'aïkido en tant qu'art.

La vie d'un Deshi

Le premier point à relever est que les uchi-deshi d'avant guerre qui sont venus à Morihei Ueshiba possédaient déjà une expérience importante dans d'autres arts martiaux japonais. Ils acquirent cette expérience avant de devenir deshi ou pendant leur temps de deshi, ou les deux. Bien sur certains étaient trop jeunes pour posséder une compétence autre que savoir effectuer des chutes de judo mais cette inexpérience était équilibrée par l'expertise des autres en ken jutsu ou des jutsu traditionnels. Ils intégrèrent le dojo et l'inexpérience des uns se frotta à l'expérience des autres. 

Gozo Shioda (Aikido Masters , p.174) note qu'il eut initialement des doutes sur l'efficacité de l'aïkido: "quand je vis ce que O sensei faisait, j'ai douté  qu'il fut vraiment fort. Comme j'étais son élève, j'étais toujours projeté. Je ne pensais pas qu'il était fort et que l'aïkido était plus que cela." 

Cependant la réponse de Shioda ne fut pas de tester Morihei Ueshiba pendant l'entraînement, contrairement à ce que l'on aurait pu attendre, compte tenu des habitudes dans les dojos à cette époque mais d'étudier du jujutsu et du bo-jutsu - dans un autre dojo. Il alla ainsi au dojo de Takaji Shimizu, le 25ème soke du shindo Muso-ryu jojutsu, également expert d'autres armes. Shioda ajoute qu'il prit confiance dans l'efficacité de l'aïkido lorsqu'il projeta Shinzu avec le "kokyu" plutôt qu'avec le jujutsu.

Ainsi les deshi amenèrent une grande variété de vécus, de connaissances, d'expertises et d'attitudes dans les arts martiaux. Dans ces rencontres un double processus avait lieu:
1. Les deshis tentaient de saisir ce que faisait Ueshiba et la différence avec ce qu'ils pratiquaient auparavant, ce qu'ils avaient précédemment appris.
2. Lorsque un groupe se constituait ils apprenaient entre eux.

Même ainsi, les interviews dévoilent une bonne dose de perplexité vis à vis du waza que montrait Ueshiba à ses deshis et des explications qu'il leur donnait. D'une certaine façon Ueshiba proposait deux visages: celui de l'Autre vers qui tendre sans l'atteindre et le canal essentiel de leur propre entraînement. Il était le miroir - Shioda parfois avait le sentiment que Ueshiba était aussi comme le kami derrière le miroir - et ainsi le moyen de développer et polir leur propre reflet dans le miroir.

Le deuxième point est que l'on ne peut que conclure que les résultats techniques, intellectuels et spirituels varièrent aussi beaucoup en termes de savoir et d'habileté. Ils devaient sans doute dépasser de loin les non deshis comme le suggére Shigemi Yonekawa lorsqu'il décrit la vie du dojo (p123):" la vie alors était assez stricte. Le matin pratique de six à sept et de neuf à onze. Dans l'après-midi de deux à quatre et le soir de six à sept (soit six heures par jour). C'était dur. J'avais le souffle court toute la journée. Vous ne pouviez pas recevoir directement un enseignement de sensei au début. C'était une méthode d'enseignement sévère. En plus, Sensei vous regardait avec ses yeux perçants. Cela me faisait toujours peur. Un jour j'ai raté une chute ou quelque chose comme ça et sensei me hurla dessus au milieu du dojo. Il arrêta l'entraînement alors même que beaucoup de gens étaient venus et retourna dans sa pièce. Je me suis retrouvé là à me demander ce qui s'était passé et à me demander si j'allais être renvoyé du dojo. 

Une autre chose sur laquelle Sensei insistait toujours était que vous ne deviez pas être distrait ou laisser des ouvertures. C'est ainsi que vivaient autrefois les samouraïs. Ils avaient appris à maintenir une attitude mentale qui leur permettait d'affronter un ennemi n'importe quand. C'est comme cela que vivait Ueshiba sensei au quotidien, même lorsqu'il mangeait ou qu'il dormait. Par exemple même dans le hall d'entrée, quelqu'un peut venir de n'importe quelle direction. Vous ne pouvez pas être inattentif. Même en parlant au téléphone quand quelqu' un vient dans votre dos, vous devez avoir des yeux derrière la tête de sorte que vous ne soyiez pas pris au dépourvu. C'est ainsi qu'il nous enseignait.

Le troisième point est que aucun des deshis d'avant guerre n'a jamais considéré s'être approché du niveau de compétence atteint par Morihei Ueshiba. Gozo Shioda parle de Ueshiba comme possédé par les kamis et un des moments les plus poignants de l'entretien avec Shigemi Yonekawa est lorsqu'il semble avoir renoncé en raison d'un énorme blocage mental" qu'il explique page 143-144: " je crois que c'est en décembre 1936 que j'ai quitté le dojo. Je suis allé en Mandchourie car j'avais des doutes à proos de l'aiki-budo. J'entends par doute le fait que je ne parvenais pas à saisir l'essence de l'art et je me sentais un peu perdu. Mes doutes concernaient les aspects techniques et spirituels. J'étais perplexe sur ce que je pouvais faire pour progresser ne serait-ce qu'un peu. Je me heurtais à un mur. je crois que tout le monde fait cette expérience parfois." 

Un point intéressant ici est que Shigemi Yonekawa  quitta le dojo pour des raisons "familiales" et partit pour la Mandchourie mais ceci est clairement un tatemae (une façade). Yonekawa reconnait avec Stanley Pranin que le départ du Kobukan n'avait rien à voir avec un doute sur le waza de Morihei Ueshiba: "Il y avait un pouvoir mystérieux et infini chez Ueshiba sensei, encore que le mot de pouvoir, de puissance est trompeur. Il y a des niveaux variables selon les gens. Le niveau de Ueshiba sensei est différent. Il possédait ce genre de pouvoir qui pousse naturellement les gens à courber la tête quand on se tenait devant lui. Comment développe t-on ce genre de choses? Je ne comprends pas ce niveau d'entrainement".

Voilà le jugement de celui qui tint le rôle d'uke dans les archives photos du dojo Noma. Shigemi Yonekawa entre au dojo Kobukan en 1932 et le quitte en 1936. A peine le temps pour un pratiquant moyen pour passer le shodan de nos jours. Quoi qu'il en soit, son niveau semble bien plus que moyen et il était assez brillant pour servir d'uke pour les clichés du dojo Noma, pourtant il abandonne parce qu'il sent qu'il n'a pas de notion de progression dans son entraînement qui lui permette de faire ce qu'il faut pour commencer à ressembler à O sensei.

Encore que cela ne soit pas pertinent dans une discussion sur les stratégies d'apprentissage, il faut asussi noter ici que rien dans l'entretien ne suggère que Morihei Ueshiba ait été conscient de ces soucis ou ait entrepris la moindre démarche pour soulager son problème. Yonekawa part pour "raisons familiales" et voilà tout. Je crois qu'il faut réfléchir sur ce fait quelque peu.

Le quatrième point, lié au second, sont ces références, dispersées un peu partout dans les entretiens à l'entrainement des non deshis au Kobukan ou aux autres endroits visités par Morihei Ueshiba. En fait le seul entraînement exclusivement destiné à des deshis semble avoir été celui de l'Omoto kyo à Takeda. Beaucoup a été dit sur les sévères restrictions à l'entrée du dojo Ueshiba (deux parrainages et / ou la permission de l'amiral Takeshita) ainsi que sur l'entraînement sévère d'un uchi deshi mais rien sur les conditions réservées aux non deshis. Rien n'est dit de leur entraînement sinon que c'était les deshis qui leur faisaient cours. Devaient-ils soutenir une vigilance constante 24 h sur 24 aux attaques par derriere? Si non, quel était le contenu de cet aiki budo "light" au Kobukan? Malheureusement il n'existe pas d'interviews de pratiquants de l'Omoto kyo ou des soldats qui connurent MU dans les différentes écoles militaires ou il enseignait. Tout ce dont nous disposons ce sont les interviews des deshis et nous pourrions assumer que l'entraînement de la masse était similaire mais moins intense que l'entrainement des deshis. Je reviendrai sur ce point, fondamental pour l'entrainement d'AIkido tel que nous le concevons aujourd'hui, dans un prochain article.

Une des conclusions que nous pouvons tirer de ces interviews est qu'il est trop tôt pour conclure que l'entrainement du début des années Kodokan était comme une étoffe sans couture visible, au sens ou comme nous aimons le penser de nos jours, d'un produit fini, d'un art formulé et reconnaissable. Je pense que cela est du aux aspects extrêmement personnels de la relation maitre/deshi, la tendance à la fragmentation, inscrite des l'origine et qui était la consequence de l'architecture meme des rapports entre Morihei Ueshiba et ses deshis.

Le fait que l'Aikido ait continué sous la forme d'un tissu avec très peu de coutures apparentes par opposition à d'autres arts martiaux est à imputer à de tout autres facteurs. Ceci est un sujet très important sur lequel je reviendrai plus tard.

L'art d'apprendre.

Un point commun très frappant à la lecture des interviews de ces maitres d'Aikido est à mon avis, l'absence complète d'évocation de stratégies d'apprentissage de la part de ces deshis. On relève parfois quelques mots sur la façon qu'avait Ueshiba de structurer ses cours - ou plutôt de ne pas les structurer - mais rien sur la façon qu'avaient ces deshis de comprendre ce que Morihei Ueshiba leur montrait.

Dans le premier article je suggérais un "paradigme" d'apprentissage plausible: 

(1) L’Aïkido est un budo qui peut être pleinement enseigné et entièrement appris (dans le sens où il est possible pour les deshi d'acquérir toutes les compétences du maître)
(2) L'aïkido est un budo qui doit être enseigné et appris de façon systématique dans l'enseignement et l'apprentissage des stratégies.
(3)  Même si l'enseignant est d'une importance cruciale dans ce processus, c'est la maîtrise de l'enseignement et des stratégies d'apprentissage de la part de l' étudiant qui finira par déterminer si les connaissances et les compétences peuvent être ou ont été ou sont en cours d'acquisition

Ce paradigme irait de soi dans un contexte pédagogique occidental mais dans le cas des deshis, il semble très peu évident que les deshis aient en fait pensé en ces termes. Par exemple, en réponse à une question sur sa conception de l'enseignement, Noriaki Inoue tient un long discours sur la pure qualité de l'entraînement, impliquant sueur et riz  (pp.36-37). Shigemi Yonekawa (pp. 124-125) est plus explicite et voit une connection entre enseigner et apprendre. Mr Yonekawa cite un vieux proverbe japonais: "enseigner est la moitié d'apprendre". Son explication est qu'enseigner à quelqu'un implique de maitriser correctement la matière dans "la tête" et dans le corps. Autrement, on ne peut enseigner. Ainsi les deshis manquaient de confiance en eux pour enseigner aux "externes" (les non deshis) ce qu'ils avaient appris de Morihei Ueshiba mais ceci est du à un manque de maîtrise du waza plus qu'un manque explicite de stratégies d'enseignement. Car il n'y a avait aucune stratégie en dehors de la réptition constante du waza. 

Rétrospectivement, on peut regretter que Stanley Pranin n'ait pas poussé plus loin et demandé à M.Yonekawa d'expliquer davantage ce qu'il voulait dire. La traduction en anglais (Aikido Masters, p.124) se lit ainsi: «Il ya un proverbe japonais selon lequel « l'enseignement est la moitié de l'apprentissage. " "Vous ne pouvez pas accomplir la moitié de l'apprentissage ou d'enseigner les gens si vous ne maîtrisez pas le matériel mentalement et physiquement. " Notons ici que la maîtrise correcte du matériau est la maîtrise par l'enseignant, et non par l'étudiant. Notons également que la stratégie de l'enseignement, telle qu'elle était, semble avoir été: si vous ne comprenez pas ce que Sensei a montré ou dit, répétez ce que vous pensez qu'il a montré, mais aussi «intensément» que possible. Je pense qu'il y a ici un problème fondamental lié à des discussions récentes sur Aikiweb sur l'entraînement «interne». 

Je pense que la question ici est liée aux métaphores que vous utilisez pour conceptualiser votre entraînement personnel et de lui donner sens pour vous en tant qu'individu. La question concerne aussi bien les stratégies utilisées pour maîtriser le waza, ou kata, et les stratégies utilisées pour maîtriser les aspects 'cachés', comme ceux que M.Akuzawa dévoile quand il «absorbe» des coups de poing simplement et renvoie tout de suite l'énergie  «à travers» son attaquant. 

Noriaki Inoue mentionne un épisode impliquant Mitsujiro Ishii, de la société journal Asahi, qui était 6e dan en judo (p.33-34): «Un jour, je l'ai trouvé plongé dans ses pensées. Quand je lui ai demandé ce qu'il pensait, il répondit: «Je me demandais pourquoi je ne pouvais pas projeter un petit homme comme vous, Sensei! Normalement, il est facile de projeter quelqu'un de petit. Mais si j'essaie de vous lever, vous semblez lourd. Je me demande pourquoi. "J'ai dit que ce n'était pas moi qui était lourd, mais plutôt lui qui était relativement plus léger. Il ne comprit pas ce que je voulais dire. 

Comme je vous le disais plus tôt, une pierre pesant plusieurs milliers de kilos est extrêmement lourde. Mais bien que la pierre est lourde par en dessous, il est facile de la manipuler par le haut. Je suis fermement ancré, attaché à la terre. Vous pouvez me pousser vers le bas par ma tête, mais sinon il est impossible de me projeter. Il ne comprenait pas cela. J'ai alors pensé que des gens formidables comprennent peut-être les mécanismes qu'ils apprennent à l'école, mais ils ne comprennent pas grand chose à la réalité de la mécanique de l'univers. "

Noriaki Inoue parle d'être« fermement ancré »et de la mécanique de l'univers, mais ses propos sont clairement des métaphores. A la lecture de l'interview, nous ne sommes pas plus avancés pour comprendre plus précisément comment Inoue était «fermement ancré» (autre que celui de son partenaire d'entraînement ne pouvait pas le déplacer) et comment sa compréhension de la mécanique de l'univers était supérieure à celle de son partenaire 

Plutôt que de parler de stratégies d'enseignement pour permettre au deshi de transmettre la compréhension des techniques, Shigemi Yonekawa, Rinjiro Shirata et autres deshi soulignent tous que les principales différences entre les uchideshi et les «outsiders» résidait dans l'intensité de l'entraînement

Shigemi Yonekawa exprime l'opinion suivante (p. 124): «Il y avait aucune distinction faite entre les uchideshi et les gens venus de l'extérieur. Toutefois, comme uchideshi, en contraste avec les gens de l'extérieur, nous pratiquions les techniques qui nous étaient enseignées maintes et maintes fois. Nous répétions les techniques sans cesse et nous étions projetés par Sensei. C'était là la différence. En outre, nous nous entraînions avec beaucoup de gens de l'extérieur sous la direction de Sensei. Il serait inexact de dire que nous aidions à leur enseigner. Nous nous sommes entraînés avec eux. C'était l'une des raisons pour lesquelles les uchi deshi progressaient rapidement "

Rinjiro Shirata partage ce point de vue (p.155):".. Il n'y avait pas de formation particulière pour les uchi deshi. S'il y en eut une, ce fut au cours de la période de Budo Senyokai à Takeda. Dans ce dojo, il y avait seulement des gens qui se sont entraînés dur comme les uchideshi le faisaient. Il n'y avait pas de classes spéciales exclusivement pour les uchi deshi. La façon d'apprendre à cette époque était un peu différente de la méthode actuelle. Je pense que vous pourriez dire que les anciens ont appris chaque technique sérieusement, une par une. Bien que les gens d'aujourd'hui apprennent avec ardeur et sérieux, à notre époque Ueshiba Sensei n'enseignait pas systématiquement. Tout en apprenant nous devions systématiser chaque technique dans nos esprits et c'était assez difficile".

"Gozo Shioda suggère même que cette formation serait inacceptable de nos jours (p. 175):"... Autrefois, il semblait qu'il (Morihei Ueshiba) agissait comme un medium pour les kami plutôt qu'en tant que professeur. Quand nous nous entraînions, Ueshiba Sensei nous faisait sentir les choses directement plutôt que de nous enseigner. Il ne donnait pas d'explications détaillées pour nous dire, par exemple, "tournez à quarante-cinq degrés", comme nous le faisons aujourd'hui. C'est pourquoi à l'époque, nous avions à étudier des choses par nous-mêmes. Il disait juste "C'est bon, c'est bon", ou "apprenez-vous pour vous-mêmes. C'était le système d'apprentissage à l'ancienne. 

Je suppose que les gens de nos jours ne seraient pas satisfaits de cela, mais nous on ne nous enseignait pas systématiquement. Sensei agissait selon ses sentiments et les conditions du moment, il n'y avait aucun lien entre hier et aujourd'hui. C'était l'ancienne méthode de l'enseignement. Nous absorbions ce que nous apprenions et nous le systématisions. Nous devions penser les choses par nous-mêmes. Moi aussi, j'ai construit sur la base que j'ai acquise sur une longue période avec Ueshiba. Et je continue d'élaborer à partir de ce que j'ai pu rassembler. Aujourd'hui on ne peut pas enseigner comme d'Ueshiba Sensei. Je pense que c'est difficile."

 "Yoshio Sugino souligne l'importance de« voler » les techniques (p. 206):« Ueshiba Sensei, contrairement aux instructeurs présents à l'Aikikai Hombu Dojo, enseignait les techniques par le mouvement en le montrant rapidement une seule fois. Il ne donnait pas d'explications détaillées. Même lorsque nous lui demandions de nous montrer la technique à nouveau, il disait: «Non, technique suivante!" Alors qu'il nous montrait trois ou quatre techniques différentes, nous voulions voir la même technique à plusieurs reprises. Nous avons fini par essayer de «voler» ses techniques ".

M. Sugino note ensuite que Minoru Mochizuki était très bon pour imiter ce que Morihei Ueshiba montrait. Comme Morihei Ueshiba lui-même, Mochizuki était capable de reproduire les techniques après les avoir vues une seule fois et c'est ce que M. Sugino considère comme l'archétype du processus d'apprentissage. 

Ainsi M. Sugino note que:. "... En d'autres termes, imiter est la même chose que voler. Vous regardez les techniques de votre sensei avec votre esprit et votre cerveau. C'est ce que je veux dire par "voler" les techniques de votre sensei. Aujourd'hui, les gens sont très lents à apprendre, même lorsque les enseignants expliquent. Ils sont trop désinvoltes avec ce genre de chose. Les gens dans les jours anciens étaient très sérieux."

 "Zenzaburo Akazawa mentionne brièvement la question de l'auto-formation (p. 261):«. Il (Morihei Ueshiba) disait: «Bon...», et montrait une technique. Voilà tout. Il n'enseignait jamais dans le détail en disant: «Mettez la force ici,» ou «Poussez maintenant sur ce point": Il n'utilisait jamais cette façon d'enseigner. O Sensei n'enseignait pas comment devenir fort ou des choses comme ça. Ce n'est pas parce qu'il s'inquiétait que les élèves essayaient de devenir plus forts que lui. Il n'existe pas de raccourci. Si vous voulez être fort, vous devez vous avoir cette idée fixe et vous pousser dans cet état connu sous le nom muga no kyouchi qui est le royaume du non-soi. "

Encore une fois, il aurait été utile pour nous former de nos jours d'avoir eu plus d'explication ici sur précisément ce que veut dire être fort. Il me semble qu'il existe des parallèles avec la formation plus tarde entreprise que plus tard par des deshi comme Koichi Tohei et Hiroshi Tada avec le Tempukai. 

Enfin, Shigemi Yonekawa tente d'expliquer pourquoi la relation entre un uchideshi et l'enseignant ne peut pas être systématisée (p. 126): "Il est très superficiel de penser que lorsque vous devenez un uchideshi vous progressez rapidement en technique, parce que vous pouvez pratiquer plusieurs heures par jour ... Je pense qu'il ya un chemin ou michi dans ces formes (à savoir, les gestes de l'arrangement floral ou la cérémonie du thé) et qu'il se manifeste dans la cérémonie du thé ou l'arrangement des fleurs. C'est une chose extrêmement difficile. Je crois que c'est une question de compréhension pour vous-même des choses que le professeur n'enseigne pas, plutôt que d'apprendre de votre enseignant à faire quelque chose de spécifique . "

Une forte impression qui se dégage dans l'étude de ces entretiens est un puissant sentiment de nostalgie. Beaucoup de ces uchi-deshi repensent à cette époque comme une sorte d'Age d'Or, quand les artistes martiaux célèbres étaient tous des héros et les deshi étaient tous rassemblés autour de Morihei Ueshiba dans le Kobukan. 

Ils sont fortement conscients des différences entre cet âge d'or et le «présent» état de l'Aïkido comme ils le comprennent. Une conséquence possible de ce sentiment est que certains d'entre eux ont abandonné complètement abandonné la pratique à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Un lien très personnel, forgé pour certains uchi-deshi dans un temps relativement court, mais avec un seul homme, fut brisé et la rupture fut considérée comme irréparable.

Pourquoi ces entretiens ne dévoilent-ils aucune stratégie d'enseignement? Je pense que cela est lié à la tendance culturelle (à défaut d'un meilleur terme) qui consiste à se concentrer sur le processus d'apprentissage de la personne, qui incarne les compétences souhaitées, plutôt que sur les compétences elles-mêmes. Ayant vécu au Japon depuis si longtemps, la raison me semble plus claire qu'elle ne pourrait l'être pour des étudiants d'autres pays. Je pense que cette tendance culturelle explique pourquoi le système sempai / kohai fleurit toujours dans le Japon moderne. Ce système est un paradigme très traditionnel d'enseignement / apprentissage et correspond bien au rôle plus distant de shihan en tant que modèle. À certains égards, ce paradigme traditionnel structurée verticalement n'a pas beaucoup changé depuis Morihei Ueshiba. 

Avril est le vrai début de la nouvelle année au Japon et je suis maintenant face à des classes d'étudiants de première année qui tentent de donner un sens à ce que "Goldsbury Sensei» (ou un des divers surnoms que je reçois) fait dans son cours de philosophie et ses cours de langue, qui sont en fait assez différents de tout ce qu'ils ont vécu auparavant. Ils ont reçu un bon enseignement de leurs enseignants du secondaire et de leurs sempai, de sorte qu'ils ont réussi à entrer dans une université de premier rang comme l'Université de Hiroshima. Pour faire face aux nouveaux défis posés par les cours du Dr Goldsbury, ils vont généralement recourir aux mêmes méthodes et demander à leur sempai, en particulier le sempai qui a suivi mes cours l'an dernier. Ils s'adressent rarement à Goldsbury lui-mêmeCes sempai, cependant, ne tenteront pas d'expliquer comment apprendre ce que j'enseigne. Ils ne vont pas prendre un peu de distance et essayer d'expliquer les principes qui se sous tendent les activités du cours. Non. Si ils ont gardé le matériel de mes classes précédentes ils donneront les réponses. Comme je me répète rarement d'une année sur l'autre ces explications seront assez inutiles. 

J'ai rencontré le même genre de problème il y a quelques années. J'avais repris un étudiant sur son anglais et il me répondit qu'il avait appris ces formes grammaticales (incorrectes) avec un sempai, qui lui avait appris beaucoup plus que ses professeurs. Il était clairement déchiré entre devoir admettre son erreur, parce que j'étais un locuteur natif, et être fidèle à son sempai. Un paradigme d'apprentissage plus socratique, basée sur l'importance de l'interrogatoire, n'a pas sa place avec un sempai et se concentre exclusivement sur les compétences elles-mêmes, plutôt que sur la personne qui incarne ces compétences. Encore une fois, je reviendrai sur ce point dans l'avenir. 

(A moins que l'explication par le sempai soit utilisée pour cacher son propre embarras et expliquer à demi mot que ses professeurs d'Anglais étaient nuls, quand on a vécu un en Asie, le terme pidgin prend tout son sens...).

c. Morihei Ueshiba semble n'avoir fait aucune tentative pour vérifier s'ils avaient compris ce qu'ils avaient appris de lui. 

Puisque cet article est déjà assez long, je vais reporter la discussion de ce point. Cependant, je pense que la vérité de cette proposition est une conséquence de l'enseignant en tant que Modèle et l'apprenant en tant que paradigme miroir. Outre les observations générales lors de la formation, la seule façon que semble avoir adopté Ueshiba pour vérifier la compréhension de son deshi était de le choisir ou pas en tant que uke / Otomo (porte-bagages & assistant en général) quand il enseignait ou qu'il voyageait Je ne crois pas qu'il ait jamais envisagé la nécessité de vérifier effectivement leur compréhension et la raison en est claire. Ce n'était pas une question digne d'intérêt: s'ils avaient compris ou non serait évident dans leur entraînement. 



***


A relire le professeur, il me semble assez évident de devoir publier prochainement un texte à propos d'un ami peintre. Le texte est écrit mais attend son heure, il reste de nombreuses aspérités à polir. Je crois qu'il peut éclairer quantité de problèmes soulevés par le texte.

En effet, même si je suis persuadé que l'apprentissage de l'Aikido ressemble bien plus au départ à l'apprentissage d'une langue, de la lecture / écriture ou du dessin qu'à une activité créative, personnelle, il faut ensuite aller plus loin. Apprendre une langue sert à avoir une discussion, lire un livre. Etre bon en grammaire ne signifie pas que l'on pourra communiquer dans un pub anglais (mate). 

Gardons l'exemple du dessin qui est un bon parallèle, activité cérébrale mais largement a-verbale, très physique au sens où elle peut seulement exister par le corps. La justesse dans le temps est également capitale, telle ligne à tel endroit à tel instant et rien d'autre.

La technique est capitale en dessin. Plus on est habile, mieux c'est. Mais ce n'est que le début. On peut enseigner toutes les composantes du dessin (perspectives, contrastes de valeurs, matériaux, ligne, plan, fond, etc), on peut dessiner des milliers de croquis, ça ne veut en rien dire que le résultat sera intéressant - même si évidemment on est meilleur après 10 000 dessins qu'après 10...
 
Qu'est-ce qui rend un dessin attirant, vibrant? Pourquoi et comment exprime t-il la vie au point de l'influencer, comment est-il la vie au sens où il accueille et recèle cette étincelle, ce fragment de ki ? Grand mystère, même pour celui qui le manifeste au quotidien. Demandez à Vélasquez ou J.Pollock (enfin ils sont morts mais faisons semblant, si vous connaissez un génie...) comment ils font: la réponse sera toujours incompréhensible car eux-mêmes ne sont pas forcément les mieux renseignés sur ce mystère qu'ils pratiquent. 

Comment être dans l'instant capable de croquer une caricature, passer ikkyo au moment le plus juste? Si l'on reste dans la problématique de Golsburry, comment (à supposer comme il est noté judicieusement dans l'article qu'on ait maîtrisé le matériau mentalement et physiquement) transmettre le dessin, l'Aikido ?

Ce passage de Shigemi Yonekawa est passionnant: "Je pense qu'il y a un chemin ou michi dans ces formes (à savoir, les gestes de l'arrangement floral ou la cérémonie du thé) et qu'il se manifeste dans la cérémonie du thé ou l'arrangement des fleurs. C'est une chose extrêmement difficile." "

Faire c'est la voie... Peut-on enseigner à devenir poète, devenir sensible et ce dès le plus jeune âge? 

"Je crois que c'est une question de compréhension pour vous-même des choses que le professeur n'enseigne pas, plutôt que d'apprendre de votre enseignant à faire quelque chose de spécifique".

Merveilleuse observation. Qu'est-ce qui se glisse entre les lignes? 

Vraiment comment peut-on évaluer ceci, avec quel système de notation? 


1. Il souligne d'abondance le manque ou l'absence de stratégie d'évaluation des étudiants. Ceci n'est en rien l'indication qu'il ne savait pas où se situait leur niveau. Un maître de ce calibre repère immédiatement le niveau d'un étudiant... A fortiori ceux qu'il voit tous les jours. Cette notion d'évaluation est très liée à une conception universitaire, voire scolaire de la progression que le professeur Goldsbury semble malgré lui projeter sur son sujet. Si l'on parle d'évaluation technique, de quoi parle t-on? de savoir placer son pied où il le faut? ou de savoir placer shiho nage dans le temps, dans le présent? Ou d'avoir acquis cette densité impalpable qui irradie ? Je voyais passer un chinois du continent l'autre jour, il était évident qu'il avait pratiqué une boxe chinoise (ou plusieurs), pas besoin de lui demander ses diplômes. 

2. Un passage me fait bondir.
Noriaki Inoue parle d'être« fermement ancré »et de la mécanique de l'univers, mais ses propos sont clairement des métaphores. A la lecture de l'interview, nous ne sommes pas plus avancés pour comprendre plus précisément comment Inoue était «fermement ancré» (autre que celui de son partenaire d'entraînement ne pouvait pas le déplacer) et comment sa compréhension de la mécanique de l'univers était supérieure à celle de son partenaire

Ce passage me laisse perplexe venant d'un 6ème dan. Il ne s'agit pas du tout de métaphores mais bien de principes physiques très concrets. Le principe physique est tellement évident que l'on se demande ce qui est difficile à comprendre ici (me refusant à suspecter le professeur de mauvaise foi). La réponse est contenue dans un exercice aussi simple que tai no henka ou selon les axes expliqués ici. 

3. Le doute léger sur le travail de Stanley Pranin, même relativisé, me paraît très déplacé. Quoi qu'on pense de son travail, le fait que personne d'autre ne l'a entrepris. Il a fait ce qu'il a pu, comme tout à chacun, et nous devons prendre ce qui est dit et analyser. 

4. "Ils sont fortement conscients des différences entre cet âge d'or et le «présent» état de l'Aïkido comme ils le comprennent".

Je crois qu'en effet ils le compren(ai)ent très bien. La différence devait leur sauter aux yeux entre ce qu'ils avaient vécu dans les années 30 et ce qu'ils pouvaient voir à Tokyo dans les années 70. Récemment Aikido News vient de consacrer des articles à Rinjiro Shirata. En visionnant son film sur l'aiki ken, on peut voir des fondamentaux intacts partagés par Shioda, Tohei, Saito, à commencer par la position de pieds, hito e mi.

Alors inutile de minimiser le regard de ces vétérans (devenir uchi deshi chez Ueshiba à cette époque... respect!) sur l'Aikido moderne en disant "tels qu'ils le comprennent". Ils sont justement sans doute les plus à mêmes de comprendre la différence... Il serait beaucoup plus intéressant de les écouter. 

Ne serait-ce que parce que l'on découvre de précieuses remarques:

"Lorsqu'on demanda à Rinjiro Shirata à quoi ressemblait cette époque, il répondit comme suit: "Les deux seuls talents, capacités (skills) était de se jeter en avant et d'être constamment en mouvement. Bien que je faisais irimi, je ne faisais pas tenkan ! Je ne faisais que des techniques comme ikkyo, nikkyo et ce qu'on appelle maintenant shiho nage. Ueshiba sensei disait souvent qu'avec un seul faux pas, il n'y avait plus de technique. Il disait aussi qu'avec seulement un petit pivot du corps ou de jambes, la technique était complètement fausse".

Se jeter en avant et être en mouvement? un seul faux pas? Si peu de techniques? Décidément il ne suffit pas de travailler la grammaire il faut encore utiliser le bon livre de grammaire...

5. Toute l'explication culturelle est intéressante et permet d'expliquer en partie la méthode choisie (ou selon lui, presque subie) par Ueshiba sensei. Cela dit, en faire une constante japonaise par opposition à une méthode occidentale socratique me semble aller trop loin ou pire, se rassurer à bon compte.

Après tout, l'apprentissage de l'écriture japonaise comme il l'explique lui-même est extrêmement structuré, les katas sont un très bon exemple de transmission structurée alors même que l'absence de kata dans la méthode Ueshiba est assez remarquable pour quelqu'un formé aux écoles anciennes. Sans compter que sa pratique était sans cesse en évolution.

Un professeur de dessin doit éveiller la sensibilité et ceci ne peut se faire que dans l'expérience. Par exemple, emmener ses élèves dessiner au supermarché. Casser les règles une fois qu'on en a montré l'intérêt et les limites. Cela dit, et comme au Kodokan, l'étudiant doit prendre son crayon et se lancer.
Ceci me remet en mémoire une phrase que je trouve très juste: "Celui qui veut savoir doit avant tout savoir qu’il est l’artisan de son propre savoir, et ne rien attendre de l’extérieur. On peut bien-sûr se rendre à Compostelle en avion, mais l’initiation ne se pioche pas comme dans un livre les recettes de cuisine".

6. Cela rejoint ce qu'il sur l'absence de structure apparente (ou de moins celle qu'il suppose ou projette) des cours de Ueshiba sensei. Rien ne permet de dire ceci. Ce n'est pas parce qu'un débutant ou même un yudansha ne voit pas la logique d'un cours que celle-ci n'existe pas (respectueusement pour Shioda sensei). Qui peut dire si Ueshiba ne structurait pas ses cours en fonction de critères complètement invisibles à ses élèves? Le climat, la fatigue qu'il percevait chez ses élèves, la perception que ceux-ci avaient besoin à un moment précis d'un cours d'une technique complémentaire, qui peut dire au fond quels étaient ou n'étaient pas les critères sous-jacents au quotidien? Très certainement ses cours étaient fort différents de ce que l'on demande à un impétrant au BF, à savoir un cadre lisible, logique et très souvent superficiel.

En déduire que O sensei n'avait pas de méthode sur ces bases me paraît très léger. La seule chose que l'on peut dire c'est qu'elle était dure à comprendre.

Il faut croire pourtant qu'il n'a pas été un mauvais professeur lorsque l'on considère le nombre incroyable de budokas de très haut niveau qu'il a formé en cinquante ans... Qu'il n'ait pas coulé une méthode dans le marbre est une autre chose mais après tout il a écrit un seul livre sur son art, Budo, et la structure du livre est très solide, preuve qu'il était capable de structure.
 
Vraiment, O sensei n'aurait-il pas été capable de créer une méthode s'il l'avait voulu? Ne pouvait-il le faire, lui qui a déconstruit tous les arts martiaux qu'il a appris? Etait-il prisonnier de sa propre culture?
 
En veut-on à Rembrandt de ne pas avoir créé de méthode de dessin? Et pourtant lui aussi eut des apprentis.

Rembrandt était-il japonais? 
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http://upload.wikimedia.org/wikipedia/en/1/18/Wassily_Kandinsky_-_Munich-Schwabing_with_the_Church_of_St._Ursula.jpg


A suivre.

 

Mars Exulti

 

Arts de Mars, dieu de la guerre? Et tout le cortège de fantasmes?

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Diego Velázquez - Mars, God of War - WGA24429
 Pas ce vieux soudard fatigué selon Vélazquez? Image may be NSFW.
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Mars commença par être une divinité agricole romaine gouvernant et représentant l'abondance des champs. Le mot vient de l'étrusque Maris, dieu de la fertilité et de la végétation, protecteur des troupeaux, des champs et des fermiers.
  
D'ailleurs, c'est sur les conseils de la déesse Flora que Junon conçoit seule ce fils sans père au moyen d'une plante. (Junon se venge de Jupiter qui a conçu Minerve sans elle et ainsi rétablit l'équilibre du monde). 

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L'empereur Hadrien, guerrier et pacificateur, sous les traits de Mars, vigilant mais paisible dans une pose grecque classique, immobile mais prêt à bouger, dans cet entre-deux états caractéristique.

Lorsque Rome n'était encore qu'une bourgade étrusque puante sur la route du port, Mars fut le dieu des hommes de la terre. Parfois, ces hommes au printemps prenaient leur équipement militaire lorsque le temps permettait de se battre et conquérir, d'où les deux festivals majeurs des mois de Mars et d'octobre qui délimitaient la saison guerrière (les dates de navigation sur la mare nostrum, grosso modo).

Mars, père légendaire de Romulus, synthétise les deux aspects de la Rome initiale, paysanne et guerrière, récoltante et conquérante. 

(On lira avec bonheur le livre miraculeux de Mika Waltari, l'Etrusque).

Plus Rome se lançait dans la conquête, plus il fut associé avec la guerre jusqu'à s'identifier avec le grec Arès, même si les Grecs se méfiaient de ce dieu incontrôlable, sauvage. 

Seul Jupiter Capitolin avait plus d'importance que lui.

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Comme Neptune avait pour attribut le trident ou Jupiter la foudre, outre le bouclier, Mars maniait la lance, ce qui constitue un écho assez frappant avec l'Aikido.

 Les représentations modernes perpétuent cette conception militaire et son iconographie (Merci Kiaz):



Mars est certes un guerrier (et très militaire) mais le Champ de Mars, son symbole inscrit au coeur de la Ville, n'est pas univoque puisqu'il est supposé avoir été dédié par Numa Pomipilus lui-même, le second roi légendaire de Rome, législateur, administrateur et amoureux de la paix. 

Ainsi Mars est aussi un principe de paix et de régulation, bien loin de la fureur aveugle d'Arès, pouvoir militaire certes mais aussi force protectrice, père de la Ville au sens le plus concret. Par sa romance avec Venus, il synthétise deux aspects de Rome.

Roma, amor.

 

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Plus macho, impossible....


En bonne logique patriarcale romaine, Mars est ainsi un dieu agricole qui, grâce à sa force de vie, sa virilité (vir, vis) préside aux énergies de croissance, crée les conditions de la croissance, fut-ce au besoin par la guerre au sens où elle permet la paix.

Pax Romana.

La part de sauvagerie de Mars est indéniable et il s'apparente aussi aux lieux sauvages, inconnus des hommes, une force dont il faut s'attirer les bonnes grâces.

 

La terre, la lance, l'agriculture, le principe organisateur, nous sommes très proches d'Ueshiba sensei.

Bien loin en revanche du fantasme du guerrier, de l'expert, du tueur. Mars est bien plus que cela.

 

Mars Exulti 
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Transmission, héritage, émulation - 4


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pgoldsbury

P. Goldsbury

Source à cette adresse.

 

 

L'article précédent se terminait sur une brève discussion de la troisième proposition relative à la transmission: (c) Morihei Ueshiba semble n'avoir fait aucune tentative pour vérifier s'ils avaient compris ce qu'ils avaient appris de lui.

 

Comme je le disais précédemment, je pense que la vérité de cette proposition est une conséquence des paradigmes de l'enseignant en tant que modèle vivant et de l'étudiant en tant que Miroir. Dans les Aïkido Masters bien des uchi-deshi du Kobukan déclarent que Morihei Ueshiba montrait rarement deux fois la même technique et ne s'arrêtait pour donner des explications. Les explications données au début de Budo Renshu sont exclusivement consacrées à la façon d'attaquer et comment se déplacer quand on est attaqué ainsi. Bien sûr, il y a de brèves explications sur les dessins dans le livre, mais ceux-ci sont de peu de valeur pour ceux qui ne savent pas déjà comment pratiquer le waza et c'est ce que Zenzaburo Akazawa suggère le livre.

 

 

Akazawa déclare en effet que:.. "Le seul problème est que les choses se passent rarement aussi nettement que dans ces dessins parce que votre partenaire est une personne vivante. Il y a toujours le danger que les gens en viennent à trop compter sur ce seul livre même si ces illustrations [NB. Pas les explications, que ne mentionne jamais Akazawa] peuvent très bien servir de lignes directrices ou comme une sorte de référence. Le genre de chose qui vous aide à réaliser, 'Oh, bien sûr, dans cette situation, ce serait une possibilité. "AM, p.263.).

 

Il y a un passage dans Aïkido Shugyou dans lequel Gozo Shioda discute de son test de passage du 9ème dan. Shioda visitait Morihei Ueshiba à Iwama après la fin de la guerre. Il donne la date de Showa 26, ce qui serait 1951. Le test consistait à attaquer O Sensei, successivement avec un bokken puis sans arme, de n'importe quelque manière. Shioda ne put attaquer Ueshiba avec le bokken ne pouvant trouver aucune ouverture dans sa position/garde. Il nota que c'était comme si ses mains et ses pieds avaient été attachés ensemble. Il put presque délivrer une attaque à mains nues, mais O Sensei semble l'avoir arrêté juste à ce moment. Shioda reçut son 9ème dan et la consigne de plus travailler le bokken. Donc, ce fut en effet un test, et très peu le contrôle, de ce que Shioda lui-même avait appris de Ueshiba, mais il n'était question que de suki, d'ouverture, et n'impliquait aucune technique ( pp.207-210 de 合 気 道 修行.).

 

Je pense que nous avons besoin de creuser un peu la proposition ci-dessus, parce que pour comprendre il faut un changement radical dans nos attitudes vis-a-vis de l'enseignement et de l'apprentissage. Ma troisième proposition était une suite directe de la deuxième, examinée en détail dans l'article précédent: (b) Le deshis ont tous ont acquis des connaissances approfondies et des compétences au cours de leur temps comme deshi, mais il est loin d'être clair qu'ils ont gagné toutes les connaissances ou que tous aient acquis la même connaissance.

 

Le point important ici c'est: apprendre tous les connaissances ou que tous acquièrent les mêmes connaissance. Bien sûr, il y avait le waza pratiqué tous les jours, un échantillon en est donné dans Budo Renshu et dans les archives du Noma Dojo. Toutefois, cela signifie aucunement que le fondateur montrait tout aux uchi-deshi ou qu'il leur montrait tout de ses propres exercices d'entraînement personnel et des rituels appris de Sokaku Takeda et d'Onisaburo Deguchi.

 

Donc, je comprends la troisième proposition dans le même sens «individualiste»: (c1) Morihei Ueshiba ne semble avoir fait aucune tentative pour vérifier individuellement si chaque uchi-deshi avait compris ce que chaque uchi-deshi avait appris de lui.

 

Et non comme (ce qui est encore moins probable): (c2) Morihei Ueshiba semble n'avoir fait aucune tentative pour vérifier si en tant que groupe, ils avaient compris ce qu'ils avaient (collectivement) appris de lui.

 

Ceci constitue une différence importante. De toute évidence, lors du test du 9ème dan de Gozo Shioda, Ueshiba Morihei eut l'opportunité de voir si Shioda pouvait trouver des ouvertures ou des lacunes dans sa défense et fut satisfait. Mais il n'existe aucune preuve qu'il ait fait passer le même test à qui que ce soit d'autre, même pas Morihiro Saito, par exemple, qui était son deshi principal à Iwama au même moment - et rien n'indique qu'il s'agissait pour Ueshiba d'un passage de grade tel que nous le comprenons. Plus tard dans sa vie O Sensei ne s'embarassait même pas de passages de grade et fut notoirement libéral dans ses attributions de 10e dan.

 

Je pense que comprendre la proposition au sens (c2) revient à trop se projeter dans l'avenir [commettre une anachronisme NT]. J'ai suggéré que l'on ne peut pas vraiment penser à la formation dans le Kobukan des débuts comme un tissu sans couture, et encore moins est-ce un vêtement sans couture qui peut être enfilé et porté par des personnes différentes. La vérification collective de ce que le deshi avait appris, au moyen d'un test, a dû attendre que le paradigme maître-élève ait changé et je pense que cela n'a pas vraiment put se produire dans l'Aikikai Hombu de Tokyo avant la réouverture après la guerre et commence à s'épanouir dans le cadre de la direction de Kisshomaru Ueshiba.

 

Indépendamment des observations occasionnelles au cours de la formation, la seule manière qu'avait Morihei Ueshiba de vérifier la compréhension de son uchi-deshi consistait à leur montrer le waza et faire des corrections sporadiques pendant la formation, en observant leur façon de prendre soin de lui en dehors des cours, et, plus important encore, en choisissant ou non de choisir un deshi en particulier comme uke / Otomo (porte-bagages & assistant) quand il enseignait ou lors de ses déplacements. Je pense que la question de servir uke, et les connaissances acquises en tant qu'uke, est d'une certaine importance ici et je reviendrais sur ce point plus loin.

 

Je crois que beaucoup dépend du fait qu'ils avaient été choisis comme uchi-deshi. Je ne crois pas qu'il ait jamais envisagé la nécessité de vérifier effectivement leur compréhension et la raison réside dans le paradigme traditionnel Maître-Deshi. Je ne pense pas qu'il jamais traversé l'esprit de Morihei Ueshiba de vérifier par lui-même si oui ou non ils avaient compris ce qu'il leur avait montré. Ce n'était tout simplement pas une question digne d'intérêt: qu'ils avaient compris, ou non, serait évident dans leur entraînement.

La précision «ou non», est aussi importante ici, puisqu'il faut sérieusement envisager la possibilité  que aucun de ses uchi-deshi n'ait bien compris ce que Morihei Ueshiba avait passé toute sa vie à développer - et passait une grande partie de sa vie à leur montrer. Il y a plusieurs raisons plausibles à cette situation. La première est qu'il était unique: un génie des arts martiaux, et il est dans la nature des choses que cette qualité unique ne puisse être quantifiée ou reproduite. Une autre raison est qu'il ne leur a montré que les waza - le sommet de l'iceberg - et les laissa décourvir par eux-mêmes le vaste héritage de la formation personnelle qui se trouve sous la surface. Une troisième raison est qu'ils n'ont jamais cassé le code pour commencer: ils n'ont jamais réussi à comprendre les explications qu'il leur a fourni parce qu'ils n'ont pas eu le temps ou les compétences pour un tel entraînement personnel / privé. Une quatrième raison est qu'il n'avait pas vraiment à se préoccuper de savoir si ils avaient ou non compris, même si il pouvait le voir à partir de leur formation: il n'était tout simplement pas de sa responsabilité en tant que miroir vivant de faire également en sorte que les réflexions dans le miroir soient fidèles. C'était la responsabilité du deshi, qui avait au moins eu l'occasion d'examiner le miroir de près.

 

J'ai dit plus haut que d'être uke et subir lukemi constituaient les moyens par lesquels Morihei Ueshiba pouvait vérifier ce que son deshi avait appris de lui, mais la métaphore du Maître comme miroir échoue ici sur un point important: Morihei Ueshiba prenait rarement l'ukemi pour son deshi et son exemple a été suivi par presque tous les shihan actuels du Hombu dojo. Ainsi, le deshi n'apprenait pas de Ueshiba pas en le projetant, mais en se faisant projeter et c'est exactement ce qui se passa dans la partie taijutsu du test de Shioda. Dans une série de journaux publiés sur le Web par Aikido Journal, Ellis Amdur a discuté de la question générale de savoir comment et pourquoi Sokaku Takeda et Morihei Ueshiba abandonnèrent le modèle habituel de l'enseignement par koryu en faisant faire l'ukemi à son deshi. Ce n'est qu'une impression mais dans l'archive des entretiens que Stanley Pranin a publié, il me semble qu'il ya moins de références quant à l'importance de l'ukemi pour Sokaku Takeda que pour Morihei Ueshiba. J'ai moi-même entendu les deshi de Ueshiba affirmer que la prise d'ukemi pour O Sensei était d'une importance cruciale. La maîtrise de (1) la lecture de ses intentions pour comprendre quel genre d'attaque il voulait et (2) la compréhension et l'exploitation des ouvertures qu'il donnait devinrent les référence pour les deshi eux-mêmes (individuellement, une fois de plus) pour mesurer leur propre compétence.

 

Je ne désire pas répéter les arguments Ellis Amdur ici, sauf pour souligner un aspect de l'ukemi. Le terme est habituellement traduit par «roulade» ou «brise-chute» et c'est ce qu'on fait lorsque l'on "projeté» par le shite, (ou nage ou tori), selon le waza. Une telle traduction est insuffisante à bien des égards, car elle restreint beaucoup trop la portée du terme et ignore les rôles cruciaux joués par shite et uke pour mettre en place un waza, qui est en fait une production conjointe, unique à chaque occasion. Le ukemi mot est composé de deux caractères chinois: l'un, 受, ayant une vaste gamme de significations centrées sur l'obtention, la réception, l'acceptation, l'autre, 身, ayant deux significations centrales: le corps et le soi. Je pense que la relation entre shite et uke couvre un spectre très large, allant de la rencontre des esprits - puis des corps - à la manière du sumo, jusqu'au kata pré arrangé en kumi-tachi / kumi-jo.

 

Si l'on décompose la rencontre entre shite et uke en aïkido en trois étapes artificielles (attaque, waza, zanshin), nous pouvons voir les complexités que cela implique. (1) Les attaques peuvent aller d'attaques pré-établies (une sorte de danse) jusqu'à des attaques comme dans la vie réelle, avec feintes et armes. Shite, est également autorisé à initier des attaques. L'attaquant ne doit pas perdre son équilibre, de sorte que le défenseur a ainsi l'oportunité de travailler vraiment dur pour trouver des ouvertures dans l'attaque. (2) En supposant que l'attaque progresse au-delà de l'atemi et débouche sur une forme de technique, l'attaquant peut «se rendre», accepter la technique et l'ukemi, ou bien de continuer l'attaque et d'utiliser le pouvoir du défenseur, le mouvement, le ki, quoi que ce soit, pour inverser la technique, ou encore simplement absorber et neutraliser le pouvoir du défenseur. Ainsi, (3) l'ukemi n'a pas besoin de s'achever en chute. En fait, l'un des principaux objectifs de l'entraînement à l' ukemi avec un partenaire est d'éviter d'avoir à rouler ou de réaliser un brise chute.

 

Dans les entretiens de Aikido Masters, il est très peu question de la façon dont Morihei Ueshiba enseignait au moyen de waza et d'ukemi. Des gens comme Shigemi Yonekawa, qui était uke pour les photos Dojo Noma, étaient clairement expert en roulades et brise-chutes, mais il y a peu d'indications sur la façon dont ils ont appris ces compétences de Morihei Ueshiba lui-même. Yonekawa de «prendre l'ukemi O Sensei» et en parle comme d'une expérience très spéciale. J'ai moi-même entendu parler d'autres shihans utiliser cette phrase, comme si cet exercice était une mesure de son progrès dans la compréhension de l'aïkido. J'ai souvent pris l'ukemi pour Seigo Yamaguchi Shihan (déjà âgé) et plus occasionnellement pour Hiroshi Tada shihan. Les deux shihans sont les mêmes en ce qu'ils demandent tous deux une subtile connection des KI, mais ils diffèrent complètement sur la façon dont ils s'attendent à ce que ceci se manifeste. C'est une opinion très personnelle, mais je sentais que Yamaguchi Sensei vous prenait plus pour ce que vous étiez et adaptait sa technqiue pour exploiter vos capacités, alors que Tada s'attendait à ce que vous entriez dans un tourbillon, un maelström, mais aussi à ce que vous puissiez vous auto-gérer correctement tout au long de cette expérience. Bien sûr, être capable de faire cela nécessite un entraînement dur et constant.

 

Je voudrais consacrer un peu plus de temps sur le sujet du Maître-en tant que-miroir, en prenant deux exemples issus de mon expérience personnelle. Le premier exemple est mon professeur de japonais, le deuxième est mon professeur d'aïkido.

 

Quand je suis arrivé à Hiroshima en 1980, je savais pas du tout parler japonais en dehors de quelques mots et phrases apprises lors de la pratique de l'aïkido. Mes collègues de l'université étaient partagés à propos de mon apprentissage. D'une part, un enseignant étranger ne sachant pas du tout parler japonais représentait un «nouveau visage» à des étudiants japonais et les motiverait à travailler dur pour se faire comprendre, en particulier au moment de l'examen. (Le fondement de cette attitude est une théorie de l'acquisition du langage basé sur quelque chose comme: vous déversez votre KI «pure» langue, ce qui motive les étudiants à prolonger leur propre KI et réaliser le pont linguistique, et si possible une harmonie totale. Cette théorie est assez omniprésente et sous-tend le schéma de JET au Japon.) d'un autre côté, dans une ville un peu provinciale comme Hiroshima, l'ignorance totale du japonais serait un handicap considérable et aucun déversement du Ki anglais ne permettrait d'atteindre une quelconque harmonie au supermarché.

 

Ainsi, le professeur qui avait contribué à mon recrutement suggéra que j'apprenne un peu de japonais et me proposa de m'apprendre les kanji chinois. Cependant, il ne me donna jamais de leçons formelles ou se mit à «m'enseigner» quoi que ce soit. Ce qu'il avait effectivement l'intention était de me faire lire à haute voix des livres qu'il avait lui-même écrites, puis de les traduire. Donc, je pris l'habitude d'aller chez lui, lire à haute voix quelques pages de texte en japonais (que j'avais préparées à l'avance) et de donner une traduction verbale, puis une «vraie» traduction. Après cela, nous allions dîner. Trente ans plus nous continuons et je pense que c'est un bel exemple d'une relation maître-deshi comme elle est traditionnellement conçue. (Une relation similaire est esquissée par Natsume Soseki dans Kokoro.) Je pus ainsi avoir accès privilégié à l'esprit d'un artisan littéraire au travers des ses œuvres littéraires et critiques. La tâche de traduire était simplement le véhicule, le kata, pour de nombreuses conversations sur la littérature et l'art d'écrire. Même si aucun enseignement formel n'eut lieu, il y eut beaucoup d'apprentissage - vraiment beaucoup.

 

Mon professeur d'aïkido est un peu différent. À l'âge de 70 ans, il enseigne encore activement l'aïkido et a récemment reçu son 8ème dan. Cependant, il n'a jamais eu de deshi et ne considère pas l'un de ses élèves comme deshi. Il n'y a pas d'héritier évident et quand il abandonnera finalement l'enseignement, il n'y aura plus personne pour suivre ses pas. Il n'a produit aucune vidéo, aucun texte et sa connaissance approfondie de l'art périra avec lui. Ma relation avec ce professeur dure depuis aussi que celle entretenue avec mon professeur de kanji, mais, lui aussi, ne pense pas formellement m'«enseigner» quoi que ce soit. Il s'entraîne dans un dojo très petit qui est assez difficile à trouver et ne cherche pas activement de nouveaux étudiants. En fait, les étudiants changent souvent et le dojo où je me suis lancé en 1980 est actuellement vide. Les étudiants qui ont été là aussi longtemps que moi peuvent compter sur les doigts d'une main.

 

Je pense qu'il est difficile d'accepter la possibilité que l'art va mourir parce que son créateur est mortel, surtout pour ceux qui considèrent l'art comme une entité autonome, digne d'une étude personnelle sérieuse, et non comme l'expression personnelle d'une personne qui fut simplement un modèle. Je pense à ceux qui croient que Morihei Ueshiba a légué au monde «l'art de l'aïkido» comme un «don» et que par conséquent, il se suffit à lui-même et qu'il appartient à tout ceux qui le pratiquent. Cette croyance est singulièrement liée à aux aspects spirituels et éthiques supposés de l'aïkido, en tant que un remède aux maux du monde.

 

Une fois, j'ai interrogé Hiroshi Tada shihan ce qu'il se passerait le jour où il ne serait plus là pour enseigner l'aïkido; quelles dispositions avait-il pris pour transmettre l'aïkido à ses propres deshi? Je pense que les lecteurs de Aikiweb peut facilement comprendre la logique derrière la question. La propagation de l'aïkido à l'étranger après la Seconde Guerre mondiale a été en grande partie due aux efforts de shihans japonais comme Nobuyoshi Tamura, Yoshimitsu Yamada, Saotome, et surtout Koichi Tohei, qui sont tous connus en tant que techniciens suprêmement accomplis de waza et comme individus très charismatiques. Donc, la question reflétait les questions qui sous-tendent ces articles. Qu'avaient fait ces shihans pour distiller leur savoir afin qu'il puisse être transmis intact à leurs élèves?

 

La réponse de Tada Sensei fut frappante mais pas vraiment étonnante. Il n'avait quasiment rien fait au-delà d'être un modèle aussi parfait que possible. Il avait fait de son mieux pour imiter son maître et montrer à ses élèves son régime d'entraînement personnel. Il appartenait aux étudiants de faire de même. Son propre aïkido, bien sûr, mourrait avec lui.

 

Commentaires

 

En dehors du paradigme maître disciple qu'il faudra traiter à part, le texte appelle une série de commentaires.

 

1. Budo renshu n'est pas le livre idéal pour étudier le legs de Ueshiba sensei. Budo est de loin plus intéressant au sens où c'est le seul livre qu'il ait écrit personnellement, qu'il ait rédigé, pensé. Et quand on le lit, on découvre un texte qui n'est pas facile d'accès mais qui est précis, au moins en termes de structure. Il est intéressant de partir de ce texte pour bien mesurer ce que nous dit O sensei, de façon très littérale. Cette série d'articles est de ce point de vue plus qu'intéressante.

 

2. Le "passage de grade" de Shioda sensei n'est pas un examen scolaire pour vérifier ce qu'il avait appris. Encore une fois, O sensei savait qui était qui et ce que ses deshis avaient appris, surtout les très proches comme Shioda. Il s'agit ici du test le plus exigeant possible, le plus fin et subtil. Cette perception des ouvertures, la façon de les voir, les exploiter, les créer est l'essence de l'art, son aspect le plus raffiné mais aussi le plus pratique, pragmatique. Ce genre de test ne peut s'effectuer qu'avec des gens impeccablement formés. D'ailleurs si on y réfléchit il s'agit bel et bien d'un passage de grade simplement les modalités du test sont infiniment plus pointues que "yokomen-ikkyo"...

 

P.Goldsburry le dit lui même: "et rien n'indique qu'il s'agissait pour Ueshiba d'un passage de grade tel que nous le comprenons."

 

Très juste remarque: Tel que nous le comprenons et rien n'indique que nous soyons dans le vrai...

Le dan (invention récente) et son examen d'obtention est une conception tellement réecente et tellement calibrée pour / en fonction les conceptions occidentales qu'il semble un rien absurde de la projeter sur Ueshiba. 

 

3. Tout ce paradigme du maître-miroir dont le fonctionnement exempterait le maître de procéder à une vérification du niveau technique ou de s'intéresser même à la progression des élèves...

("il n'était tout simplement pas de sa responsabilité en tant que miroir vivant de faire également en sorte que les réflexions dans le miroir soient fidèles. C'était la responsabilité du deshi, qui avait au moins eu l'occasion d'examiner le miroir de près").

... est à la fois une observation cultivée et insuffisante à mon sens pour expliquer ce qui en jeu, au plus profond.

 

Reprenons l'exemple du dessin: trouver de la technique n'est pas bien dur, les livres et les cours abondent. Mais quel maître, même le plus grand peut expliquer la vie, comment la ressentir, pourquoi telle ligne est cruciale parce qu'habitée de nécessité?

Pour Ueshiba, au delà de la technique (qu'il épure), tout se joue dans l'instant de la rencontre, du combat si on veut, à la frontière de la vie et de la mort, lui qui avait failli y passer plusieurs fois en Mongolie et ailleurs. Comment faire ressentir cela, comment susciter l'Eveil?

 

Bien sûr la société et la culture japonaise ont du jouer un rôle dans la structure de l'enseignement que décrit P.G. L'inverse serait surprenant. Mais plus profondément, n'est-ce pas la matière même du Budo qui poussait Ueshiba à délaisser le superficiel et à mener ses étudiants vers l'essentiel? À peu près tous formés à d'autres disciplines, ne venaient-ils pas chercher ce qui rendait Ueshiba unique?  La plupart des attitudes conventionnelles n'ont plus cours à ce niveau. Imagine t-on Van Gogh donner un cours de dessin? Non qu'il en ait été incapable, sa correspondance et ses études prouvent le contraire.

Mais vraiment, un cours? Van Gogh vous aurait emmené en promenade sur les sentiers boueux du Borinage, soigner des malades, prier, regarder la lumière danser en Provence, bref rencontrer la vie, pas nous dire où mettre la ligne.

 

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par Toulouse Lautrec...

 

3. Pas grand chose à dire sur l'ukemi, question qui mérite plus de place qu'ici.

 

4. Une troisième raison est qu'ils n'ont jamais cassé le code pour commencer: ils n'ont jamais réussi à comprendre les explications qu'il leur a fourni parce qu'ils n'ont pas eu le temps ou les compétences pour un tel entraînement personnel / privé

L'affirmation est très critiquable, évidemment. On pense à Shioda sensei et tous les autres, beaucoup d'appelés, peu d´élus mais tout de même... quelle carrière de professeur quand on y réfléchit !

 

4. Le retour sur le paradigme maître miroir au travers de l'apprentissage du japonais est intéressante à plus d'un titre mais dévoile vite ses limites.

 

Peut-être que cette méthode d'apprentissage "osmotique" a permis à P. Goldsburry d'apprendre le japonais ou plutôt sa grammaire puisque la traduction est un exercice de découverte des rouages de la langue. mais de ce point de vue, cet enseignement fut parfaitement traditionnel, même au sens occidental du terme: exercice, correction, enseignement. La transmission par osmose / capillarité devient comme il le reconnaît vite inopérante des que l'interlocuteur ne joue pas ou ne peut pas jouer le jeu (et je comprends les caissières du supermarché qui ont autre chose à faire....).

Au Japon j'ai amplement utilisé les ressources de la communication non verbale et d'une dizaine de mots pour faire ponctuellement crever de rires les japonais (en surjouant le gaijin, un peu comme un quidam entrerait dans une boulangerie en braillant "paaiiiiinnn !!! "...) mais si j'avais dû vivre au Japon, j'aurais pris des cours et c'est ce que fit le bon professeur dans un cadre privilégié... On ne traite pas un prof de fac en l'envoyant avec le velgum pecuen 1ère année d'annonement et marmonnages... Question de culture japonaise ici aussi mais pas seulement...

 

5. Le passage un rien ironique sur le legs d'O sensei, ou plutôt sur son absence est bien plus problématique et pour tout dire un rien choquant et me paraît une façon un peu facile de se dédouaner de pas mal de choses.

Je pense à ceux qui croient que Morihei Ueshiba a légué au monde «l'art de l'aïkido» comme un «don» et que par conséquent, il se suffit à lui-même et qu'il appartient à tout ceux qui le pratiquent.

Car après tout qui d'autre ne cesse de l'affirmer sinon O sensei lui-même? Il est possible que certains "croient" (à moins qu'il ne l'ait constaté) que l'aïkido constitue une réponse spirituelle, morale (et pratique, ajoutè-je) à des problemes de violence, De ce point de vue cela suppose en effet un corpus technique identifiable et transmissible. Si celui-ci n'existait pas quel serait l'intérêt des catalogues, fédéraux et autres? 

C'est par ailleurs passer sous silence ce qui le rendait techniquement unique en son temps, au-delà du Daito ryu auquel certains voudraient le réduire ou le ramener désormais dans une savoureuse volte-face. C'est oublier, à moins qu'il ne s'agisse d'ignorance pure ou partielle, ce que la synthèse d'O sensei possède de singulier.

En effet, de nombreux concepts sont traçables depuis les koryu: happo giri existe avant l'aïkido, de même que ikkyo (au moins ippon dori pour la forme extérieure), de même que shiho nage. Ce qui est stupéfiant dans l'aikido c'est à quel point toutes ces connaissances sont synthétisées et non additionnées pour aboutir à une forme technique qui ne doit rien au hasard. L'article semble suggérer que l'Aïkido est une sorte histoire dont chacun est le héros passager, y compris son inventeur/découvreur. Quand on considère la prodigieuse fusion armes / main et leurs correspondances dans le mouvement et la stratégie, on se dit qu'il y a plus que l'expression individuelle d'un talent à un moment donné qui ne pourrait être transmis. O sensei a effectivement créé une œuvre singulière, nouvelle, n'en déplaise à ceux qui ne peuvent l'identifier.

 

Une des questions sous jacentes de tous ces articles est finalement: "comment se fait-il que nous en ayons si peu bénéficié?". Pourquoi ce diable d'O sensei ne s'est-il pas débrouillé pour nous en transmettre plus, ou mieux...? Il y a en creux une sorte de plainte, de lamentation, une analyse qui essaie par tous les moyens de conférer de la logique à ce qui, sinon, ne fait pas sens.

Que lui manque t'il pour comprendre O sensei (et ses méthodes)? On sent quelque chose de déçu, le sentiment que quelque chose échappe, résiste. Et si la solution de l'équation n'était pas justement de renoncer à tout ce qu'on croit et tout reprendre à zéro. Je sais, c'est dur.

 

Il est assez piquant de sentir le président de l'International Federation of Aikido  (la même qui participe aux World games, no comment...)comme  gémir sur un problème de transmission quand bien même le Hombu dojo et l'Aikikai se sont largement construits et auto identifiés comme les détenteurs de la tradition et de la légitimité... (Official Aikido peut-on lire sur les livres...).

Leur manquerait-il des pièces du puzzle? Des pièces de bois?

 

Après tout que dit O sensei à Shioda à la fin du "test" sinon "travaille plus ton bokken"?  Ton bokken, vraiment? Allons allons il n'y a pas de bokken spécifique de l'aïkido, tout le monde sait cela.

 

Mais mettons-nous une seconde dans la peau d'O sensei? Que voit-il? Hikitsuchi, Tomiki (oui même Tomiki), Shioda, Saito, et quantité d'autres qui ont tout en mains pour transmettre. L'aïkido selon son point de vue d'observation va survivre, même au prix de convulsions; la graine a germé.

 

Et comme dit Hadrien: " je laisse faire les dieux"....

Transmission, héritage, émulation - 5

 

Transmission, héritage, l'émulation 5

 

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pgoldsbury

 

 

Le dernier article traitait de l'apparente irresponsabilité de Morihei Ueshiba qui semblait relativement peu soucieux de savoir si ou non ses élèves comprenaient ce qu'il leur montrait. Comme les choses auraient été mieux faites s'il s'était comporté comme son fils et petit-fils, par exemple, et avait créé la matière d'un enseignement précis, s'il avait aussi pris la peine de s'assurer que ses élèves faisaient exactement ce qu'il leur avait montré.

 

Par contraste, j'ai visité le Hombu Aïkikai récemment et j'ai rencontré l'actuel Doshu. Il m'a donné son dernier livre, publié en japonais avec un DVD d'accompagnement. Le livre est un manuel de formation dans l'art martial appelé Aïkido. Autrement dit, il s'agit d'un livre sur un art établi, pas sur les méthodes de formation personnelle d'une personne en particulier: c'est tout l'objet de l'ouvrage. Il est écrit de manière aussi efficace que n'importe quel manuel de formation pourrait être écrit, avec des photographies en couleur et des explications fléchées sur les points clés, complété par le DVD, où les points clés de chaque technique expliquée dans le livre sont mis en évidence. Le contraste avec son grand-père, et même son père, est frappante.

 

De tout ce que j'ai lu, Morihei Ueshiba ne pensait pas du tout comme son petit-fils le fait. Ce qui l'a absorbé à partir du moment où il a commencé à pratiquer les arts martiaux dans sa jeunesse était sa propre formation en tant qu'individu. (L'actuel Doshu pense sans doute aussi à sa propre formation en tant qu'individu, mais le contexte est totalement différent et Moriteru Doshu autant que son père ont à l'occasion insisté sur ce point pour moi dans des conversations privées.) Après avoir rencontré Onisaburo Deguchi, Ueshiba a fini par se voir lui-même comme un pionnier: comme ayant une mission qui était unique dans son originalité et son exclusivité. Bien sûr, le concept de Morihei Ueshiba en tant que pionnier doit aussi être replacé dans un certain contexte. Il était un étudiant de Sokaku Takeda (dont la place dans l'histoire du Daito-ryu mériterait d'être questionnée de la même façon) et sa formation fondamentale fut le Daito-ryu. A l'époque de Budo Renshu (voir plus loin), ses étudiants au moins, croyaient que cela était l'art pratiqué. Néanmoins, à cette époque, aussi, d'autres noms ont également furent utilisés, tels que Ueshiba-ryu ou Aioi-ryu.

 

Une évolution progressive eut lieu ici, pas un changement soudain de l'art, et l'association avec Onisaburo Deguchi fut cruciale dans cette évolution. Mon argument ici est que l'évolution doit être considérée comme un habitus: une évolution de Morihei Ueshiba lui-même, et l'évolution de ce qu'il croyait être sa création, qui s'est par la suite développé progressivement et pris son autonomie.

 

La mission de Morihei Ueshiba a été exprimée dans plusieurs métaphores puissantes, principalement tirés du Kojiki. L'une d'elle était le Ubuya ou la hutte de naissance, mentionné dans une discussion très sérieuse entre Izanagi et Izanami deux divinités dans Kojiki chapitre 10 (traduction Donald Philippi). Un autre devait être le célèbre pont reliant le ciel et la terre, également représenté dans le Kojiki.

 

Sa création comme une hutte-naissance et Morihei Ueshiba comme un pont est, bien sûr, aussi un exemple de métonymie, ainsi que de métaphore. Une naissance-refuge est un endroit, mais la future mère a généralement besoin d'une sage-femme ou d'un assistant. De même, un pont fonctionne au mieux quand le passage sur son passage s'effectue en toute sécurité: il a une relation essentiellement transitoire avec ce qui se passe au-dessus. Ueshiba, d'autre part, n'était pas seulement la hutte-refuge, mais aussi la sage-femme. Il n'était pas seulement le pont, mais aussi le messager passant sur le pont et dans une seule direction - vers le bas. Comme Ellis Amdur le suggérait récemment dans un article de Aikido Journal, Ueshiba se voyait comme un conduit, un passeur pour les autres. Cependant, ses rôles et les nôtres sont quelque peu différents. Nous sommes amenés dans notre "existence à l'aikido" dans la hutte et par la sage-femme, mais nous n'avons pas prétention à devenir la hutte ou la sage-femme. De même, comme les prisonniers dans la République de Platon, nous ne voyons la réalité que dans la mesure où on nous la montre. Nous ne passons jamais au-dessus du pont: nous nous contentons de recevoir ce que le messager qui a traversé le pont nous révèle.

 

Bien sûr, pour pratiquer plupart des arts martiaux, il nous faut un partenaire, mais dans ce cas, le partenaire est considéré comme un moyen pour le développement de son habileté technique propre: en effet on peut affirmer que la formation avec un ou plusieurs adversaires ou partenaires (le mot Japonais est aite ) représente tout simplement la cerise sur le gâteau, le gâteau lui-même est la formation rigoureusement individuelle, privée. Sans ce dernier, le premier est plutôt inutile. C'est en fait un point de controverse, sur lequel je reviendrai dans un article ultérieur.

 

Comme tous les maîtres d'arts martiaux japonais, Morihei Ueshiba a accepté des uchi-deshi et, comme les articles précédents tentaient de le montrer,  leur a enseigné selon le modèle traditionnel: le Maître faisait entrer ces disciples dans une partie intime de sa propre vie en tant que Maître, de sorte qu'ils seraient en mesure de «voler» ce qu'ils pouvaient de sa connaissance. Ueshiba devenant plus célèbre et  enseignant plus largement, cependant, et la guerre du Pacifique menée par le Japon gagnant en intensité, le nombre de ces disciples diminua et ils furent remplacés par des soldats plus ordinaires ou des étudiants.

 

Les deshi avec qui j'ai parlé de ces choses ont fait un point de dogme, ou presque, que Ueshiba Morihei n'enseignait pas d'une manière à laquelle nous sommes habitués de nos jours. Sa façon de faire était fondamentalement «centré sur l'enseignant», et pas sur la technique ou même sur le principe, et était conçu pour provoquer et mettre à l'épreuve plutôt que pour clarifier. Néanmoins, il existe plusieurs preuves montrant que, même durant la période Kobukan, Ueshiba finit par considérer le produit de son cerveau comme un art distinct: une entité autonome qu'il avait créé, et non pas simplement comme l'expression ou le produit de son entraînement personnel. Dans le reste de cet article je voudrais aborder brièvement ces preuves dans l'ordre chronologique.

 

La première est le travail effectué en 1933, sous le titre de Budo Renshu. Ce livre est un manuel technique pour ceux qui ont déjà une certaine maîtrise de l'art. Il s'agit d'une collection de dessins au trait de quelques 200 techniques, les dessins et l'introduction étant assurés par les étudiants: les dessins de Takako Kunigoshi et l'introduction par le 'cerveau' du dojo, Kenji Tomiki. (L'introduction est une lecture obligatoire pour ceux qui croient qu'un art martial raffiné comme l'aiki-budo ou l'aïkido est d'aucune utilité dans une situation "réelle".) Le livre semble être le résultat d'une de ces sessions de formation intensive appelé gasshuku, très appréciés au Japon pour leur concentration et leur intensité «spirituelle». Il a été fait avec l'approbation de Morihei Ueshiba et il a même organisé des séances de formation spéciales pour s'assurer que les techniques représentées étaient correctes. Le livre a été relié à la main dans le style japonais traditionnel et distribués en privé. Une traduction en anglais a été faite quand Kisshomaru Ueshiba devint le deuxième Doshu et cette édition bilingue, avec la traduction à côté du manuscrit Japonais original, est maintenant une rareté.

 

Le deuxième début de preuve est l'archive des photographies du dojo Noma. Il y a une discussion cruciale sur cette archive sur pp.139-142 des Maîtres d'Aikido Stanley Pranin, d'où les extraits qui suivent sont tirés. La discussion fait partie d'une entrevue avec Shigemi Yonekawa, qui servait d'uke à Ueshiba lorsque les photos furent prises. Yonekawa expliqua ainsi les raisons de cette prise de vues:

 

"Je crois que la raison pour laquelle les photos ont été prises au Noma Dojo était que Hisashi Noma, le seul fils de Seiji Noma, suggéra à Ueshiba Sensei que certaines photos soient prises afin de préserver ses techniques pour la postérité. Ueshiba Sensei n'aurait pas lui-même suggéré que des photos soient prises au dojo Noma ... Elles n'ont pas été prises tous les jours, mais lors une série de sessions intensives. Je ne sais toujours pas pourquoi, aujourd'hui encore, elles ont été prises."

 

La série fut réalisée en 1936 et couvre une vaste gamme de techniques.

 

Les techniques commencent avec les techniques de base assis et couvrent tout le chemin jusqu'à des techniques avancées - des variations sont aussi incluses. C'étaient les techniques que nous pratiquions à mon époque. Je pense que les techniques ont considérablement changé depuis lors. (Les entretiens ont été initialement publiés en 1979 et 1992.)

 

(Ueshiba Sensei) était de très bonne humeur quand les photos furent prises. Lorsque Ueshiba Sensei était de bonne humeur, il montrait de nombreuses variantes des techniques. C'était un homme merveilleusement doué. Il pouvait exécuter les techniques spontanément. Ces photos le montrent à son meilleur.

 

Les photos n'ont pas été prises de façon consécutive, mais une à la fois. Nous avions prévu de faire une série complète progresse de suwari-waza, hanmi-handachi, tachiwaza, ushirowaza et, enfin, de multiples attaques, mais pour une raison quelconque, nous avons dû nous interrompre avant que nous puissions terminer.

 

Stanley Pranin discute brièvement des photos d'archive du Noma Dojo dans le second de ses deux articles fondamentaux traitant de l'ère Kodokan Dojo. (…). Dans cet article, M. Pranin prend l'archive du Noma Dojo comme preuve que Morihei Ueshiba pratiquait encore le Daito-ryu et je suis d'accord pour dire que tout semble le montrer. Incidemment, cela pourrait aussi expliquer pourquoi l'archive du Noma Dojo n'a jamais été publiée.

 

Cependant, mon objectif dans cet article est un peu différent. Je veux me concentrer sur la question de savoir dans quelle mesure Ueshiba se considérait comme le centre d'un processus créatif et aussi à quel point il se considérait créer quelque chose de nouveau (les deux questions ne sont pas tout à fait les mêmes). Cela conduit à approfondir la question, également pertinente pour le Daito-ryu, de savoir dans quelle mesure cette création devient une entité autonome de plein droit, avec ses propres principes internes, distincte de l'esprit de son créateur. Cette question, à son tour, conduit à une autre question cruciale: celle du don de cette entité par son créateur, même si elle est encore un peu informulée, à quelqu'un d'autre avec des buts et objectifs complètement différents de ceux du créateur.

 

Le troisième élément de preuve est le travail effectué en 1938, avec le livre Budo. Dans son édition de cet ouvrage Stanley Pranin a donné une explication éclairante sur la  provenance de l'ouvrage: c'est d'un manuel de techniques, compilé à la demande d'un membre de la famille impériale japonaise qui était à la tête de l'école militaire Toyama. On peut raisonnablement supposer que les techniques illustrées et expliquées étaient considérées comme appropriées pour les soldats de la guerre du Pacifique. Encore une fois, l'original japonais de ce travail n'a jamais été publié, mais il y a deux traductions en anglais sont disponibles.

 

Budo Renshu et Budo sont séparés par seulement cinq ans, mais il est clair à partir d'une comparaison technique des deux volumes que la technique avait quelque peu changé. Bien sûr, il y a beaucoup de preuves que Morihei Ueshiba changeait techniquement, même lors de la période relativement courte du Kodokan, et qu'il était conscient de ces changements. Voici une déclaration lumineuse de Rinjiro Shirata (Aikido Masters, pp.154-155):

 

(Les débutants) apprenaitent des uchi deshi les techniques en commençant par le ikkajo du Daito-ryu jujutsu. Des techniques comme ikkajo, nikajo shiho-nage ... Il y avait pas de irimi-nage alors, seulement des techniques qui, après réflexion, peuvent être considérées comme les antécédents de irimi-nage. Irimi-nage a été initialement développé par O Sensei. Les techniques de sensei étaient en constante évolution. Les techniques qui avaient leur origine dans le Daito-ryu ont été transformées en aiki et au fur et à mesure de son entraînement, ses techniques aussi changeaient. C'est pourquoi les techniques de Tomiki Sensei a appris, et les techniques que nous avons apprises, les techniques de Shioda Sensei avaient appris et les techniques que Murashige Sensei avaient appris, étaient toutes complètement différentes. Sensei lui-même me disait quelquefois, "Shirata, mes techniques ont changé. Regarde!" Donc, je le regardais. Elles devinrent / devenaient circulaires d'une manière complètement différente de ses techniques antérieures. Doshu [Kissomaru Ueshiba] systématisa et perfectionna ces techniques. 

 

Par ailleurs, il y a l'histoire de l'étonnement manifesté par Morihiro Saito, quand  Stanley Pranin lui fit découvrir le livre. Les techniques présentées dans le livre étaient ce qu'il avait pratiqué avec le fondateur à Iwama à partir de 1946. Ainsi, les changements étaient plus comme l'infusion progressive d'un produit chimique dans un liquide, plutôt qu'une transformation immédiate.

 

La quatrième pièce de la preuve est la création de la Kobukai Zaidan Houjin en 1940 et la désignation du nom aïkido en 1942. Le premier est examiné par Kisshomaru Ueshiba au début du sixième chapitre de sa biographie du fondateur (pp.230-235). Morihei Ueshiba est affectueusement décrit comme donnant tout pour nous sur le pont flottant du ciel, tout à fait impeccable et détaché de la sombre gestion des organisations et des affaires "politiques », ce qu'il laissait à ses adeptes, et surtout à son malheureux fils. Je pense que cette image est trop romantique et ne tient pas compte du contexte réel des arts martiaux dans le Japon d'avant-guerre, en particulier le pouvoir de l'armée dans les années 1930 et leur influence sur le Dai Nippon Butokukai.

 

Ueshiba eut de puissants appuis dès l'instant où il commença son association avec l'Omoto-kyo et plus encore quand il déménagea à Tokyo. La plupart de ses adeptes se formaient sous sa direction et certains devinrent ses élèves. Ce sont ces adeptes qui conseillèrent à Ueshiba de créer une organisation qui fut une entité juridique (une «personne morale»). Au Japon, on ne marche pas dans un bureau du gouvernement en demandant simplement que l'art devienne un Houjin zaidan. Le processus est complexe, prend du temps et, étant donné le poids de la société japonaise, structurée verticalement, il peut être avancé ou entravé par la présence ou l'absence de puissants sponsors et protecteurs. Ueshiba avait clairement ceux-ci et ces partisans étaient ceux qui dirigeaient effectivement l'organisation, dans le sens où il y avait un (Constitution, règlement) avec un but, des directeurs et des règles de fonctionnement. Ainsi, le dojo cessa officiellement d'être une bande de disciples réunis autour d'un maître.

 

Mentionner Kisshomaru Ueshiba conduit à la dernière preuve: les efforts que Morihei Ueshiba lui-même effectua pour trouver un successeur. On dit parfois que Kisshomaru Ueshiba devint Doshu parce qu'il était un bon administrateur, plutôt que d'un bon technicien, mais nous avons besoin de prendre du recul un peu et d'envisager quelles options avait Morihei Ueshiba.

 

Les interviews de Aïkido Masters montrent que Ueshiba approcha Mochizuki, Nakakura, Sugino et peut-être d'autres, afin qu'ils se marient dans sa famille et ainsi devenir son héritier. Ceci suggère que Ueshiba se voyait déjà comme un iemoto: la tête d'un ie (ou maison). Ueshiba eut deux fils qui moururent en bas âge et Kisshomaru n'avait que dix ans lorsque le Dojo Kobukan fut fondé à Ushigome, (Tokyo), et il semble n'avoir montré aucun intérêt à s'entraîner avant un certain âge. Il montra ensuite beaucoup plus d'intérêt, et donc alors qu'il était encore étudiant, en 1942, Morihei Ueshiba nomma Kisshomaru à la tête du dojo de Tokyo, en lui donnant l'ordre de prendre soin du dojo au péril de sa vie et déménagea à Iwama. Je pense que cet acte constitue dans les faits la transmission de père en fils.

 

 

Commentaires

 

1. Le pont flottant du ciel.

L'explication de la métaphore paraît un peu faible par rapport à des recherches plus récentes qui montrent à quel point la métaphore sert avant tout à désigner une pratique très concrète...

 

2. Le maître miroir.

J'ai déjà dit ce que j'en pensais et je n'y reviendrai que pour citer l'exemple de mon maître dessinateur. Cette explication culturelle ne me convainc pas.

 

3. Comment ne pas tirer son chapeau à Kisshomaru d'avoir eu un tel père et avoir assumé ce rôle? Que le Doshu soit responsable de beaucoup de transformations techniques (il est assez savoureux de lire que Kisshomaru a perfectionné des techniques, si c'est vrai c'est seulement qu'il les vulgarisées, les rendant accessibles au plus grand nombre, enfin en apparence) me semble inévitable, nécessaire. Et ses motivations sont peu importantes. Sans lui, et comme le rappelait très justement P.Voarino, sans lui qui parmi nous pratiquerait l'Aikido?

 

En fait la congrégation de shihan à Tokyo sans programme minimal ne pouvait que créer cette diversité d'options et de pratiques qui est à l'opposé du ryu traditionnel. Au fond tant pis, tant mieux, Dieu reconnaîtra les siens.

 

Plus important au final est que P.Golsburry identifie chez O sensei la nette conscience d'avoir créé une oeuvre, un être disctinct de tout ce qui existait avant, un art à part entière.

C'est évident lorsque l'on étudie la technique de mon point de vue et ses origines dan sla mesure où on arrive à les repérer et les comprendre. L'existence d'un corpus commun est asse flagrant en revanche la pertinence est des options est une autre affaire et c'est au pratiquant de se repérer dans cette jungle d'apparence et de revendications.

 

Ce n'est pas l'article le plus inspiré de la série mais de la part du président de l'Internation Aikido Federation (voulue par Kisshomaru), quelques constats émergent à travers cette série d'articles, presque malgré lui .

 

- la reconnaissance implicite d'une histoire qui fut bien taboue pendant des années
notamment le rôle du deuxième doshu et son rôle dans la transformation technique. 

 

- la reconnaissance du puzzle technique qui désormais prévaut au Hombu dojo.

 

- la reconnaissance implicite que l'inégalité de la qualité de transmission dans les différents courants ne signifie pas que tout se vaut mais seulement que certains ont moins bien compris que d'autres. Et que les différences qui en découlent ne peuvent être ignorées au nom d'une tolérance ignare et consensuelle. Encore une fois Dieu reconnaitra les siens le jour J.

Au fond, qu'est-ce que cela a d'étonnant ?!

 

On a tous été à l'école: dans une classe, tout le monde est au même niveau, et dans une carrière de professeur, fut-il excellent, il n'y a pas que des succès (et je ne parle même pas des profs nuls...).

Gambarimasho! 

 

Racolage passif

Bien des mois plus tard: Persiste et Signe !

 

 

Première parution en 2010.

 

 

Il est très rare que je parle politique, a fortiori ici, ce sera sans doute la seule fois. Donc please lisez jusqu'au bout. Si vous appréciez ce blog, cet article est sans doute l'un des plus importants et parle encore d'Aïkido.

 


***


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Le 18 mars 2003, Le parlement a adopté une des pires lois jamais votées en France: la loi pour la sécurité intérieure (LSI ou Loi Sarkozy II).

 

Concernant la prostitution, un nouveau délit a été instauré : le « racolage passif ». Dans le Code pénal, une nouvelle infraction est prévue: « Le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder au racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles en échange d’une rémunération ou d’une promesse de rémunération est puni de 2 mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende ».

Le délit de racolage est ainsi élargi et intègre désormais le racolage passif et aggrave cette infraction en la transformant en délit. Le projet de loi prévoyait 6 mois...

… soupir.

 

La loi fut votée en dépit de tous les avertissements des associations, des professionnels, des magistrats, des avocats, des gens qui connaissaient la question.

 

De quoi s'agissait-il? D'éliminer la prostitution des centres-villes. La simple vision

Ne pouvant résoudre l'éternel problème de l'attitude à adopter avec la prostitution (vivant en Asie où la prostitution est partout, ce genre de loi laisse rêveur), on décida de rejeter le problème plus loin. 

Dans l'ombre, 

Dans le non-dit.


Les conséquences furent, comme prévu, dramatiques. 

En quelques semaines, les filles disparurent de la capitale et des centres-villes, repoussées vers les banlieues, les bois ou les parkings d’autoroute. Loin des yeux des bien-pensants, les filles sont désormais isolées, fragilisées, plus exposées que jamais.

Harcèlement policier, gardes à vue répétées, violences illégitimes verbales et physiques, viols, rackets et autres humiliations - sans parler de la terreur, pour les étrangères, de se voir reconduites à la frontière. 

12.000 procédures en sept ans…

« Certains agents de police nous insultent, nous frappent, nous gazent, nous rackettent, confisquent nos matériels de prévention, notre argent et affaires personnelles. Nous sommes humiliées dans les commissariats, mises à nues avec fouilles au corps » 

(collectif Droits et Prostitution) 

 

Rendues invisibles, les prostituées sont devenues plus vulnérables, soumises à des réseaux clandestins en augmentation parce que moins repérables, sujettes davantage encore au trafic d'êtres humains.


Très logiquement la prévalence du HIV et SIDA est en hausse:

 

« Nous notons, ces dernières années, une augmentation des infections sexuellement transmissibles chez des personnes prostituées très précaires. Pourquoi ? Parce que la prostituée n'a plus le pouvoir sur le client, il profite de cette situation et demande des rapports non protégés. Or, la personne va parfois accepter pour pouvoir se nourrir, payer son hôtel », explique Miguel-Ange Garzo, psychologue-clinicien. Tout notre travail de prévention est remis en question ».

 

Le Conseil national du Sida: « La pénalisation du délit de racolage a contribué à pousser les prostituées à se cacher, à développer de nouveaux modes d’exercice, les rendant plus difficilement accessibles à la prévention et aux associations et plus à la merci des proxénètes et des clients », 

Le cadre législatif actuel a contribué à une « dégradation globale des conditions de vie et d’exercice des prostituées [qui] complique considérablement, voire compromet le travail de prévention ». 


… beau résultat.

 

La seule justification de la loi était de lutter contre la traite des êtres humains, un problème bien réel.

« En pénalisant le racolage, je rends la vie impossible aux proxénètes, pas aux prostituées », clamait NicolasSarkozy, alors ministre de l’Intérieur.

J'aimerais comprendre comment on a pu imaginer un seul instantsauf hypocrisie, vouloir protéger des gens en les punissant… 


 

Il proposait notamment des cartes de séjour aux étrangères qui dénonçaient leur souteneur. 

 

Bilan?

 


De l’aveu même de la Brigade de répression du proxénétisme (BRP), et comme prévu, les prostituées «ne dénoncent que très rarement» leurs souteneurs, par peur d’être elles-mêmes poursuivies pour racolage, expulsées, ou victimes de représailles des réseaux. *

 * Plus d'explication en fin d'article je ne voulais pas alourdir la lecture

 


Stupide. Absurde, inefficace.

 

 

...


La loi a donc bien atteint son véritable objectif : rétablir la tranquillité publique des riverains plutôt que protéger les victimes d'exploitation. (Pour ne pas oublier qui est qui, Juppé a joué un rôle à l'époque où il voulait "nettoyer" Bordeaux…).

 

Au nom d'une idéologie et d'une morale rétrograde, puritaine et conservatrice, elle a mis en danger la vie de gens qui n'avaient pas besoin d'une marginalisation supplémentaire.

 

C'est l'ordre moral des bien-pensants. 

 

Il ne s'agissait pas de protéger les gens puisque les conséquences de cette loi avaient été annoncées et prévues avec lucidité par ceux qui connaissent la situation. Il s'agissait de nier leur existence, de les cacher, les renvoyer aux lisières du monde propre sur lui.

 

A l'époque j'en parlais à qui voulait entendre puis avant l'élection de 2007. Un peu en vain tant les gens se contrefoutent du sort des putes.


 

 

Eh bien, je recommence.

 

 


Pour prétendre diriger les hommes, il faut leur vouloir du bien.

Il faut pousser le scrupule jusqu'à abandonner ses propres idées si celles-ci peuvent blesser ou mettre en danger un autre être humain.

On n'a aucun droit, ni aucune raison, de vouloir diriger un peuple si on en méprise une partie.

 

Une conviction est pour moi fondamentale: celui qui pratique l'aikido ne peut être cohérent  que s'il respecte et protège la vie, les gens, la nature.

 

La peine de mort est incompatible avec l'aikido, toutes les preuves sont inscrites dans la matière même de la technique, ses choix. 

 

L'aikido est bienveillant par nature et prend soin du monde. 

 

Pas Sarkozy.

 

 

 

Pour 2012, j'appelle à ne pas voter pour un homme

capable et coupable de cette inhumanité.

 

 

 

Et à signer cette pétition:

 


Vous pouvez faire passer cet article je l'assume à 200%.

 

 

 

 

----------

 

*

 


 

En pratique, les personnes ont non seulement été arrêtées et condamnées, mais les étrangères, en situation irrégulière ou non, ont pu être éloignées du territoire...!

 

La loi pour la sécurité intérieure permet en effet l'éloignement de personnes prostituées, qu'elles aient un visa en cours de validité, qu'elles soient présentes en France depuis moins de trois mois ou bien qu'elles détiennent une carte de séjour temporaire, au motif qu'elles menacent l'ordre public ou qu'elles sont « passibles de poursuites pénales », notamment pour racolage passif ... Kafkaïen.

 

 

Lors des débats parlementaires, cette contradiction avait été résolue en  prévoyant la délivrance d'un titre de séjour aux personnes qui dénonçaient leur proxénète. Mais ce n'est pas un droit. 


En cas de plainte ou de témoignage d'une personne prostituée contre un proxénète, une autorisation provisoire de séjour (APS) peut lui être remise, non seulement si ses déclarations sont jugées utiles mais aussi – exigence non prévue par la loi – si elle arrête de se prostituer. 

Dans ce cas, le préfet « peut » lui accorder une APS qui n'est pas forcément renouvelée.

Cela mis à part, aucune protection particulière ne lui est accordée et une aide financière n'est prévue que pour 12 mois. Il arrive donc que des personnes dénoncent leur proxénète, obtiennent une APS, recommencent à se prostituer de manière indépendante pour survivre, soient interpellées pour racolage et éloignées, alors même qu'un procès est en cours.

 

 

 

Nature avec des morceaux dedans.

 

Dans quelques semaines toute la famille déménage de l'Asie vers le Périgord après dix ans très pidants et productifs.... On ne pouvait imaginer plus grand contraste, du moins en apparence.

 

Pour quelques années nous allons vivre au plus près possible de la nature. On parle désormais beaucoup plus d'environnement que de nature or ce sont deux choses différentes. Le terme d'environnement ne fait pas le deuil du rêve de toute puissance de l'homme (Dieu donna la Nature à l'homme etc etc). Le singe en nous a toujours peur des yeux jaunes des grands chats. Cette peur primordiale constitue une part importante de notre psychée collective de primate qui baffre de l'aileron de requin pour se guérir de son complexe ou, pour des raisons voisines, de la bidoche à s'en faire pourrir le côlon, souvent sans avoir conscience des  motivations de son comportement.

 

La nature est par essence bien plus forte que nous. J'ai adoré ce livre, The world without us qui raconte ce qui se passerait si tous les hommes disparaissaient au même instant. En combien de temps la nature résorberait les traces de notre présence. À l'échelle de la nature, nous ne sommes, en tant qu'espèce, guère plus qu'un pet dans le vent. Reconnaître, admettre notre contingence est un pas salutaire vers moins de bêtise.

 

À chaque fois que je m'approche de la nature, son contact m'apaise profondément: on gagne toujours à se confronter, se présenter devant cette puissance infinie et finalement s'y conformer, lui obéir, s'harmoniser avec - ne serait-ce que pour lui survivre...


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Comité d'accueil...

 

Nous sommes en plein Aikido: "je suis le monde, qui m'attaque attaque le monde" disait O sensei. Je recommande cet article de Nev Sagiba qui définit l'aikido comme l'expression de l'équilibre inévitable du monde. La nature nous remplit de cette sensation inouïe, apaisante, faite de peur et d'admiration. Que le budo soit lié à la terre et à la croissance me frappe de plus en plus (Mars Exulti) d'un point de vue culturel mais plus profondément encore.

 

La rencontre avec un animal libre m'émerveille toujours. La Nature nous définit, nous nourrit... et finalement nous digère. Je conseille le site de Bruno Léger et ses superbes images. La nature a quasiment disparu en tant que paysage et cadre de vie. Le monde est colonisé jusque dans ses moindres recoins à divers degrés. La nature en tant qu'espace sauvage, non humanisé, est devenue l'exception. Bien sûr, Bornéo est un peu moins accessible mais pas hors de portée du touriste motivé.

 

Les ravages effectués sur la Nature vont se conclure - car notre condition est intimement liée à elle - par un réajustement cruel dans un futur proche, une mise au point sans pitié, de l'Aïkido vraiment. La Nature possède une inertie phénoménale: elle est très difficile à mettre en mouvement mais très difficile à arrêter... Attachez vos ceintures.

 

En termes de ressources naturelles, nous arrivons a la fin d'un cycle, il n'existe pas de croissance durable fondée sur la technologie car celle-ci est très gourmande de matériaux rares. En clair dans les prochaines années, j'anticipe un retour de flammes de la part de dame Nature et vivre selon ses lois sera beaucoup plus prudent. Vivre en ville va se révéler très difficile entre pauvreté, alimentation de merde et pollution. Les premiers signes de décomposition de cette société productiviste sont tellement évidents que je me demande comment on fait pour le nier ou ne pas le voir.


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A gauche le romarin qui doit afficher ses cinquante ans....

 

Les projets se bousculent avec les urgences et les impératifs, nous voilà partis pour de nombreuses années de travail si les dieux nous accordent longue vie. Je dis les dieux car la nature est évidemment leur domaine. Les anciens savaient cela et pour O sensei c'était une évidence.

 

L'occasion est belle de créer un projet que j'ai nourri longtemps sans avoir eu l'opportunité de le réaliser.

 

Trois bâtiments, dont deux nickel et une grange à refaire, six hectares. Pas un bruit. la dernière maison face à la prairie et le sommet de la colline. Pas de culture polluante sur le terrain depuis au moins trente ans donc une terre propre de tout produit chimique.

 

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Vivre sur place fait bien comprendre pourquoi O sensei a tant aimé la terre, son travail, le défi physique qu''elle impose. Il ne s'agit pas de sport mais d'un corps en mouvement constant et tranquille. Non stop. Tout le monde perd du poids ici, me disait Nick, ancien soldat anglais et couvreur de son état. Il s'agit de ne pas se louper sinon on se détruit le dos, l'utilisation du corps doit s'adapter à l'instant, la saison, la tâche en cours. 

 

J'arrête un certain entraînement au profit d'un autre. Comme disait Matthieu Jeandel, qui connaît bien cette histoire: ça va être bon pour le kokyu. Je pense aussi à Philippe Voarino ou Arnaud (quand il a le temps) qui ont les mains dedans jusqu'aux coudes.

 

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Au travail... le rejointage c'est facile mais c'est long et pénible.

 

J'espère qu'il y a un tatami accueillant pas trop loin, sinon ce sera surtout des armes, lance, bokken, archerie, truelle, pioche, hache, ce genre de choses. A terme mais pas avant trois ans, avec la rénovation de la vieille grange, l'ensemble constituera un centre permanent d'entraînement pour petits comités de pratiquants amis super motivés (et leur famille..., oui ça c'est la cerise sur le gâteau).

 

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Quatre siècles et toujours debout... mais il y a de l'ouvrage...

 

Agriculture, aikido, gastronomie. La vieille ferme du 16ème siècle va revivre.

 

Gambarimasho !

 

 

 

 

 

Merci de m'avoir écouté à propos du Racolage passif, même si cette motivation était sans doute minoritaire... ;-) Reste à abroger cette loi infecte ou la faire tomber dans l'oubli, l'histoire continue.

Dessin: irimi et rien d'autre.


J'ai eu la grande chance de rencontrer un maître dessinateur.

Son nom est Frédéric Lair. A ma grande honte voilà des années que je n'ai pris de nouvelles mais l'inverse est vrai aussi. Une fois revenu en France, j'irais le visiter à Saint Lo (paradoxal on le verra), histoire entre autres de réaliser une série de photos et les mettre en ligne quelque part. 

Difficile de décrire l'extraordinaire. Disons simplement que Fred est le meilleur dessinateur que j'ai jamais rencontré, et de très, très loin. Il dessinait quasiment avant de parler et n'a ensuite vécu que pour cette obsession unique: l'art et singulièrement la peinture.

En fouinant dans mes cartons, j'ai trouvé cette vieille carte en A3 qui rend assez peu justice à son incroyable main: ce n'est qu'un crobard rapide effectué en quelques minutes, en retard comme d'habitude. 

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Il pouvait tout dessiner. Dans le fond de son atelier de Puteaux, une pièce était entièrement remplie de croquis, probablement deux mètres cubes... Tous aussi impressionnants les uns que les autres. Le plus fascinant était la diversité des écritures (étant entendu qu'il n'existe pas de "style" mais seulement des écritures) car il pouvait dessiner à la manière d'à peu près n'importe qui. Je l'ai vu réaliser des copies de Lautrec dignes du meilleur des faussaires.

Il représente, et aujourdhui encore, la meilleure occasion qui m'a été donnée d'approcher sinon un génie, du moins un des rares à en avoir la capacité et certains des symptômes négatifs ("le génie, c'est une névrose qui a réussi" disait-il). Fred hélas, était très auto destructeur, l'alcool étant le moyen de la destruction mais aussi un outil de transe, de perception donc de création. Tout cela est très paradoxal.

Voir dessiner Fred était en soi une expérience, tout comme voir pratiquer O sensei j'imagine (tout est dans le j'imagine car au fond qui d'entre nous a eu l'occasion de le voir en chair et en ikkyo...?). J'ai posé deux fois pour de grands portaits ce qui était le meilleur poste d'observation. A l'époque il réalisait des 2 mètres sur 2 au pastel. Pas le pastel mièvre habituel mais la matière chatoyante des pastels Sennelier, les meilleurs, saturés de pigment. Il frappait parfois ces délicats petits tubes hors de prix avec une violence qui faisait ricocher les éclats dans l'atelier. Pas par plaisir ou affectation mais seulement quand et parce qu'il le fallait. 

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Sa virtuosité technique éclatait à chaque instant. Il réalisa une série de caricatures des habitués du bar d'Amar... sur des cartons à bière et au stylo Bic noir. Le petit rond de bière fournissait un cadre idéal pour toutes ces bonnes tronches. Comme disait un autre copain, Jean Pascal Bredenbach, il faut trouver son format après tout devient plus simple (JP joue souvent au grand cynique mais il n'a pas tord comme souvent).

Je ne crois pas avoir vu un seul dessin méchant de sa part. Il pouvait faire deviner la couleur des yeux du modèle au crayon noir, au graphite... Le matin en lui apportant des croissants, je découvrais une BD érotique inachevée dessinée dans la nuit, un autoportrait ou un texte méticuleusement incompréhensible en raison de son écriture démente et suprêmement élégante.

Il était extrêmement difficile à suivre. Physiquement d'abord. Outre le fait qu'il pouvait se lancer à corps perdu dans une bagarre de rue pour porter secours à un copain, son alcoolisme l'exposait à des dangers sans nom qui l'ont amené à l'hôpital, en prison, parfois couverts de bleus, les poings dénudés de leur peau après avoir tapé sur un mec ou un mur. Difficile de le suivre dans la boisson aussi, un jour vers quatre heures du matin avant de m'écrouler, j'eu à peine le temps de l'entendre déboucher une énième bouteille et de lâcher "oh me... tu dors déjà?". 

Il vivait l'instant comme personne d'autre. Il n'y avait aucune stratégie dans sa vie, aucun calcul à court ou plus long terme: il faisait, vivait, dessinait, jouait un blues à la guitare ou l'harmonica, partait sur un coup de tête. 
Sa virtuosité l'intéressait d'ailleurs à peine, pour lui ce n'était qu'un moyen. "Je suis un peu plus virtuose mais il n'y a que le résultat qui compte". Un jour nous dessinions le même patron de bistro et à la fin, il m'a lâché "bon j'ai fait un bon dessin de pro mais le tien lui ressemble plus". Sous entendu t'es pas un pro mais on s'en fout. 

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(Ma tête après le compliment...)

Cette même virtuosité aurait pu énerver mais les crétins étaient obligés de la fermer et les autres appréciaient tout simplement en se demandant "mais comment peut-on dessiner aussi bien? Comment peut-on dessiner ainsi, avec cette facilité déconcertante?" Parce que j'ai pratiqué kotai quarante ans, aurait lâché O sensei...

La moindre ligne, la moindre impulsion du crayon disait une sorte de petite aventure. Parfois on ne comprenait pas du tout où il allait et soudain tout s'éclairait, c'est le cas de le dire... Si l'on étudiait la ligne en détail, on trouvait souvent une quasi abstraction dans un tout figuratif, bien loin de la technique classique. J'imagine que les élèves d'O sensei devaient ressentir la même imprévisibilité, l'absence de cadre clair, le sentiment d'être embarqué dans le processus un peu angoissant de la création, angoissant parce que hors normes, en dehors des sentiers battus, témoins de la manifestation de la vie dans une activité créatrice.

Le flot dans le dessin est très similaire à celui que l'on peut ressentir dans l'Aikido et pas mal d'autres choses aussi. Aux meilleurs moments, on devient canal, médium, transmetteur, tube... Ce n'est pas je qui crée dans cet instant, c'est vraiment le monde qui passe dans le corps et l'esprit. Plus je s'absente, mieux ça (se) passe. Le travail consiste à se préparer. S'entraîner, expérimenter, devenir le meilleur des tubes, être prêt à tout admettre pour laisser passer la grâce (survivre, vivre, ce genre de choses). M.Musashi dans le traité des cinq roues dit avoir grandement profité de la calligraphie et de la sculpture. Rien d'étonnant.

Face à cette énigme, la plupart des gens se contentaient d'admirer et éventuellement d'acheter. Il arrivait assez fréquemment que certains disent :" ah mais, qu'est-ce que je donnerais pas pour dessiner comme toi!". C'est là qu'on aborde un sujet encore une fois très similaire, très parallèle à l'aïkido. Apprendre, devenir capable de.

"Apprends-moi" disaient certains. Sa réponse ne variait que dans la forme, plus ou moins saoûle, énervée ou rigolarde selon l'interlocuteur (un jour il a envoyé chier un conservateur du Louvre qui pensait lui faire la leçon sur Rembrandt: tsss, il avait fait la copie de la Conjuration de Claudius Civilus...).

"Ben, vas-y, lance-toi". Tu veux dessiner? Ben, fonce! Allez, vas-y. Fred n'était vraiment pas du genre à décourager les gens ou à prétendre être détenteur d'un savoir ou d'une capacité mystérieuse. Vraiment pas. Pas le genre à jouer le maître cinquante ou le shihan...

Évidemment son jugement pouvait être cinglant à l'occasion face aux prétentieux, peintres ou pas (combien d'aikidoka auraient tenu trois secondes face à lui? peu).
"Le dessin c'est la chose la plus importante de ma vie alors raison de plus pour la prendre légèrement" me dit-il un jour. Certes, c'était à moitié de la coquetterie puisque sa légèreté était intimement liée à une gravité presque désespérée. Une affaire ou l'on ne réussit que si l'on se donne sans réserve. Sans tricher. Et pour encore plus que le beau. À la seule gloire de Dieu disait J.S Bach. 

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bluh


Toutes les anecdotes que me racontait Fred étaient autant d'indices, d'exemples. Au plus intime, l'art se nourrit de cette matière vivante de perceptions et d'expériences. Une anecdote expliquera une nécessité ou un fragment de vérité. Ce que transmet le maître peut être en partie technique mais au-delà il transmet à celui qui sent et désire une matière bien plus subtile et émouvante. Je me souviens de ce tableau dans lequel un homme en contre jour tendait sa main au spectateur, laissant couler entre ses doigts (à moins qu'elle ne lui échappât) une matière bien plus précieuse que l'or - et quelle main magnifiquement dessinée. Une main qui offre et qui démontre en même temps, voilà une bonne image du maître.

On s'étonne que Ueshiba n'expliquait pas ses techniques. On glose à l'infini sur la culture de l'enseignement, les nécessités supposées, réelles ou fantasmées du budo. D'abord il n'expliquait peut-être pas à tout le monde et peut-être pas de la même façon. Ensuite les génies créateurs n'ont souvent que peu de goût, peu de temps à consacrer à l'enseignement. On imagine mal Picasso en prof pour apprentis génies. Dans le cas de Fred, il estimait que les écoles de dessin ne sont pas faites pour les chiens et que si l'on veut de la technique, il suffit de s'y inscrire. Dans le cas d'O sensei, la donne est un peu différente dans la mesure ou son dojo était aussi un lieu d'enseignement à la façon d'un atelier classique. Cela dit, même dans l'atelier, le maître guidait dans l'apprentissage mais qu'on n'imagine pas Rembrandt ou Rubens enseigner la perpective si ce n'est en quelques minutes, d'ailleurs il ne faut guère plus. En revanche, Rembrandt emmenait ses élèves dans la campagne aux alentours pour crobarder: rien de plus instructif que de comparer les productions sur un même motif et puis comme ça on respire la vie et le bon air.

Cela ne signifie pas que Fred ne donnait aucune explication technique mais seulement qu'elle pouvait tomber à n'importe quel moment et qu'il fallait être attentif pour ne pas la rater. Mais l'explication technique ne pouvait exister sans sa raison d'être artistique, à quoi bon expliquer ce qu'est une ligne si on n'a pas conscience de l'être "jusqu'à l'incarnation, jusqu'au poids atomique", disait-il. Quelle soit non une limite mais la rencontre de deux plans n'explique qu'en partie son caractère flou, apparemment indécis chez Velasquez, Rembrandt ou plus explicitement Bacon.

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Une autre leçon du quotidien: il dessinait sans cesse. Partout. Sur mes / ses / leurs murs, sur le journal, dans la rue, les bars, à l'hôpital, au restau. Il créait parfois des tableaux, des œuvres instruites, pensées, voulues, à la fois produits de la conscience et de l'inconscient. Mais aussi mille crobards qu'il jetait dans un coin ou abandonnait simplement derrière, ne voulant pas s'alourdir. Il dessinait TOUT, répétant la phrase de Goethe "ce que je n'ai pas dessiné je ne l'ai pas vu".

Comment finir? Au fond Fred disait et ne faisait qu'une seule chose: irimi.

Lance-toi.
Pas de gomme.
Commence.

Pas de  protection, pas de demi mesure. La vie et la mort sont toutes les deux à cet endroit, le dessin les capte dans l'instant (dans le meilleur des cas). A la seule condition d'avancer, de se jeter dans la vie, dans l'action, dans le geste. 



Butterfly


Commençons par admirer.
Pas besoin de le présenter, il le fait très bien tout seul...


Je trouve de surprenants et profonds parallèles entre la natation et l'Aikido. Tout ce qui suit n'est que l'expérience d'un amateur, sans plus. Quand on compare aux capacités des nageurs pros, on touche du doigt la différence entre niveaux (60 kilomètres hebdomadaires d'entraînement pour la compétition internationale...). Bon, on ne peut pas tout faire dans une vie... 

Je nage régulièrement depuis plus de quinze ans sans esprit de performance ou de compétition étant de toute façon loin de tout niveau intéressant qui mériterait de se faire vraiment mal. Lorsqu'on enlève le chronomètre de l'équation, il reste tout de même de jolies perspectives et un objectif global: s'améliorer en tant que nageur, avec toutes les dimensions que ce terme recouvre.

Au point où j'en suis, je nage le papillon pendant un quart d'heure sans problème majeur. Ca ferait rire les vrais nageurs mais je m'éclate bien. Je n'ai aucune idée de ma vitesse de pointe (sans doute médiocre), je peux nager deux heures sans souci, plonger à 20 mètres pour voir les poissons, encore que de toute façon l'essentiel se trouve pour moi avant dix mètres, question de lumière. Nager en mer est un grand plaisir.

A vrai dire je nage pour le seul plaisir de nager, de retrouver ce monde des piscines de champions ou de quartier, ou encore mieux l'eau libre, de bien s'étirer, opérer un grand décrassage intérieur et il est presque impossible de s'y faire mal. Je cherche constamment à nager le plus vite possible avec le minimum d'effort et jongler avec les deux. J'adore suivre un bourrin qui fait du bruit en glissant paresseusement. On comprend d'ailleurs très vite la psychologie d'une personne en la regardant nager.
Qui plus est, il est possible de pratiquer quantité d'exercices de muscu et d'endurance dans l'eau, par exemple dessiner l'infini avec les mains et paddles avec de l'eau jusqu'à la poitrine, etc, etc. Vous avez dit tanren aquatique? (tout de suite ça fait plus classe).

Si je devais participer à une de ces courses en eau libre, je serais sans doute assez mauvais au classement mais là n'est pas mon but: je veux en revanche survivre à toutes les situations, pouvoir nager partout, prendre du plaisir, être polyvalent. Par exemple pour aller là:
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Pulau Sibu

Pulau Sibu, Malaisie


J'aime assez bien que l'âge puisse se compenser relativement facilement par la technique et l'assiduité: avec mon pote Ron à la piscine, 64 ans au compteur, on nageait en parallèle sur 1000 m, moi aux paddles, lui au pull-boy pour équilibrer les efforts... Il fallait que je m'emploie.

Mon objectif idéal (pour le moment) serait de nager le papillon une heure non stop comme je l'ai vu faire un jour par un inconnu. Je sais où ça se trouve, je ne suis pas sûr de trouver le temps pour m'y consacrer. Il me faudrait deux ou trois semaines calmes. 


Quel parallèle avec l'Aikido?

La lenteur. Kotai. Il faut pouvoir nager au ralenti. il faut apprendre à analyser chaque geste, les sensations, se donner du temps pour comprendre, se calmer, arrêter de vouloir, de s'y croire, de chercher la vitesse parce qu'on fantasme du pouvoir. La lenteur dévoile des trésors de sensations et de compréhension. En Aikido, même les anciens devraient pratiquer lentement. Un jyu waza en attaques libres avec trois uke ou plus devrait s'effectuer lentement sinon à vitesse "normale", on se fait vite mal.

(Attention j'ai vu un jour un mec, taillé comme un taureau, n'effectuer que des sprints de 50 m à une vitesse de fou furieux, c'était impressionnant... je ne sais pas s'il a jamais nagé lentement, ça ne ressemblait pas à sa psychologie...). Cela dit en mer, bon courage. 

Une fois la lenteur maîtrisée, on s'aperçoit que la  vitesse de pointe et de base (pour la nage) sont grandement améliorées. Cela s'applique à l'Aikido à 100%, j'explique parfois pour justifier la lenteur que si on nage toujours vite on ne nagera jamais bien.

Régularité. Il faut pouvoir nager comme un métronome, sans réfléchir et si possible sans penser. Ou au contraire se concentrer sur une seule chose comme l'expiration, ce qui permet de déconnecter le reste du cerveau. Bien sûr dans le cadre d'une nage d'endurance, ce qui est mon pied. 

En définitive, nager ressemble un peu aux suburi. Un peu bourin mais très subtil. Je suis souvent étonné que les pratiquants veuillent visiter beaucoup de techniques dans un cours et l'on sent parfois le prof comme obligé de varier les exercices. Or j'aime bien les longues séries, 1000 mètres, 10 mns d'irimi nage, ce genre de choses.
Les gens me demandent parfois si je ne m'ennuie pas à faire des longueurs. Pas du tout. (D'abord comment et pourquoi s'ennuyer - en général dans la vie?)  On peut varier subtilement, alterner les exercices, et enfin s'efforcer de répéter aussi parfaitement que possible le même geste. De la même façon qu'on doit essayer de  répéter parfaitement une série d'ikkyo. 

Et puis comment se lasser de la sensation de glisser dans l'eau en regardant les nageuses et nageurs (no comment)?

Respirer. Ca parait bête mais, surtout dans le cas du papillon, ça résoud pas mal de problèmes. Cette nage fournit ici une sorte d'outil pour la maîtrise de soi. Si l'esprit s'égare, le coeur se rappelle à votre bon souvenir. Et ainsi on touche d'entrée de jeu à cette connexion esprit et corps, mental et physique.Tenir l'esprit, à savoir lui laisser de la place mais sa juste place seulement est la plus sûre façon de bien utiliser le corps. En nage libre, je suis accro au 3 temps, c'est beaucoup plus charmant et là on nage long.

Si toi te battre contre l'eau, l'eau gagner. L'eau est un juge de paix. Elle donne la paix à qui la cherche. SI on se bat, même et surtout en piscine, c'est  elle qui gagne. Je suis souvent attristé de voir certains nageurs attaquer l'eau, jouer avec la force, utiliser leur condition physique ou leur jeunesse pour passer en force. Je les suis au ralenti et je les vois s'arrêter pour reprendre leur souffle. Je ne peux m'empêcher de penser qu'ils vivent et se comportent ainsi le reste du temps... Je préfère de loin collaborer avec l'eau. (De ce point de vue et c'est aussi vrai en Aikido, le relâchement me paraît le résultat du perfectionnement technique, pas un préalable).

D'ailleurs si on se sent à l'abri en piscine, le dialogue devient plus sérieux en mer (soit au fond l'équivalent de l'aspect pratique du budo, on suit dans le fond? La piscine c'est comme le dojo, un espace régulé et protégé, inoffensif). La nature est la plus forte, point final, il faut composer.

Composer justement. Dans les innombrables débats sur l'efficacité de l'Aikido ou des budos, l'eau apprend qu'il vaut mieux en rire, jouer, que la survie passe par l'acceptation. De l'environnement. Des gens. Et du karma. 

On regarde le maître:



Le plus impressionnant en dehors de sa vitesse, c'est sa douceur avec l'eau, le faible clapot des pieds malgré l'amplitude du battement, sa façon d'aller chercher loin, poser la main sans frapper, épouser l'eau, glisser. Et je reste scotché par sa façon de plonger sous la surface pour optimiser le geste.

Je ne sais pas de quelle utilisation du corps on parle ici. Sans doute de la meilleure, tout simplement. Comme celle de ce nageur sauveteur que j'ai vu se jeter dans une mer totalement psychotique sur la redoutable côte des Basques, attaquer le plus rapide des crawls avec toute la puissance acquise à l'entraînement pour atteindre celui que n'avait plus que quelques instants à vivre. 

I - RI - MI.

Ou comme lui, (mais il y aussi des "elles", beaucoup et des jolies... sur YT on trouve plein de films d'apnee sympa...).



Ou encore lui...

Ce que j'aime bien avec la natation c'est qu'on a du mal à se raconter des histoires. Que la vitesse ne signifie rien de plus qu'elle-même, quelque chose de très relatif, limité dans le temps. Qu'il n'existe pas trente-six façons ou conceptions de la nage, de la façon d'utiliser son corps et son esprit mais une seule et toutes les autres ne sont que des adaptations à des objectifs soit limités soit personnels. 

Ici encore le parallèle avec l'aikido se justifie: on peut pratiquer avec un but modeste (juste être en forme, se remuer la viande) mais dès qu'on veut progresser, on découvre qu'il n'existe pas cinquante façons de faire kote gaeshi mais en revanche que l'on bute sur quelques points clefs qui font que kote gaeshi fonctionne.
De même qu'on peut délirer sur la façon de nager jusqu'au jour où un bon nageur vous enrhume. Ca m'est arrivé dans les deux disciplines, notamment à Grenobleoù un mec nageait aussi relax que moi. Mais deux fois plus vite... 

Gambarimasho!








Smoke on the water

Ca commence comme une blague et le public est à mi chemin de la commotion et du rire... (faut bien admettre qu'on s'attend à un truc ridicule).

 

Un peu comme le Bolchoï qui reprendrait une choré de Madonna.

 

Et puis ça commence vraiment et soudain s'opère une de ces fusions comme certains artistes ont le secret: le Japon digère Deep Purple et se lèche les babines. Comme je le disais sur Facebook, on imagine volontiers des samourais courir nus en fumant un joint ou des hard rockeurs en train de manipuler des sabres...

 

Sans doute (peut-être) les paroles sont fidèles au texte original mais peu importe.  

On ressent surtout une puissance sourde et presque terrestre animer cet orchestre à la tonalité sévère, austère, grave... Gravitas

 

Et cette voix qui part dans des hauteurs inouïes. Oui, le bonhomme la bouche ouverte. Il doit sans doute porter un nom spécifique et s'être entraîné vingt ans avec douches glacées dans une école de bonzes pour arriver à une telle performance vocale. 

 

Là on entend un cri. Une angoisse, la m -art- ialité au sens où elle exprime la vie. C'est flippant, c'est beau, exaltant. Une vraie sauvagerie.

 

Bon on connait le truc, on part à la quinte de tout et plus si affinités, on fait du contraste et ça marche toujours...


N'empêche, c'est un peu comme ça que je ressens l'Aiki: une tension infinie en équilibre, un trait d'union entre - dans l'ordre, attention à pas transgresser, où c'est qu'on irait? - nous, l'orchestre et les kami.

Flippant vous dis-je et étrangement jouissif. 



L'éventail et le jo

Je m'étais juré de ne rien republier sur ce blog avant d'avoir repris les traductions pour TAI. Nous y voilà. Je termine le Kajo 18 et je vais attaquer la fin de la série, puis les derniers articles (toute remarque d'un traducteur est la bienvenue, avec douceur...).

Je n'ai plus trop envie d'écrire sur l'aïkido pour toute une série de raisons peu passionnantes. Au mieux je vais continuer la traduction des articles anglais qui présentent un intérêt, résumer quelques autres en fiches de lecture bien synthétiques.


Traduire les kajo s'est révélé d'un apport inestimable. La grille de lecture qui se dégage est si intéressante que j'ai du mal à comprendre qu'on puisse s'en priver. J'avais lu Budo mais il fallait que quelqu'un en révèle le plan, l'architecture pour que enfin le livre prenne son sens. Habitué des éditions critiques j'avais pourtant oublié que bien souvent celles-ci sont nécessaires et pas optionnelles...

 

Le lien avec ce qui suit est tout trouvé dans la mesure ou sans les clefs d'interprétation et de compréhension le film qui suit est tout aussi obscur que Budo. P.Voarino à la fin des kajo évoque happo giri comme suite logique alors allons-y.

 

Cette fois il ne s'agit que de partager ma fascination pour l'étrange et ultra classique performance d'O sensei. 

...


Hawai, ses vahinés... Vahinés, tout est vahinés...


 

Pendant longtemps, j'ai regardé O sensei sans rien y comprendre et l'aïkido moderne ne m'aidait en rien - disons peu, pour être charitable. Parfois je reconnaissais des choses évidentes et le plus souvent je ne voyais que peu de points communs....

 

Aux armes c'était encore pire tant il est vrai que peu de gens ont le début de la queue d'une compétence. Cette démonstration est parmi les plus abstraites, les plus épurées et elle a longtemps constitué une énigme. Je ne comprends pas encore tout mais désormais je peux admirer, c'est à dire apprécier, goûter le singulier génie de cet homme.

 

Difficile de décrire à ceux qui ne connaissent pas et je n'apprendrais rien à ceux qui savent... c'est vraiment pour le plaisir des yeux.

 

Hito e mi est démontré avec insistance, avec une sorte de souci pédagogique, comme s'il voulait nous le mettre sous les yeux, regardez donc.  

Happo giri, la réalisation de spirales est magistrale, (en étant soi-même la spirale pas en virevoltant pour faire du vent, littéralement) et de l'éventail au jo on perçoit le côté divin de la "technique" mêlé à son aspect le plus pragmatique. (De la merde et de l'or, l'alchimie blablabla...).

Par la vertu du déplacement, tori devient le centre, "il suffit de me tenir là" disait-il... 

On reconnait les bases: tsuki, les premiers suburi et d'autres mouvements, le début des 31 avec en toile de fond, cet irimi constant qui perce le coeur de l'adversaire, droit au centre, rien d'autre, bonjour chez vous.

Constamment cette liaison terre ciel (Yonkyo / Tenchi pour les amateurs) et tous les rayons du cercle.

 

Dans ce film, Saito sensei démonte toute cette mécanique en petits bouts digérables.


A partir de cette maîtrise du cercle, on le voit s'accommoder de tous les gabarits, femme, enfant, gaijin monstre, uchi deshi acérés. Rien qu'un cercle et toutes les techniques s'y inscrivent. 

 

Réinventer la roue? vraiment?



Le chat merveilleux

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La traduction du kajo 20 achevée, je tombe sur ce passionnant article partagé par l'ami Kiaz sur Facebook. Il porte sur les étapes de l'apprentissage selon Bateson, représentant de ce qui fut appelé l'école de Palo Alto. 

 

Il est plaisant de constater qu'il est bel et bien possible ici de tendre un pont entre l'est et l'ouest, loin des lieux communs sur l'irréductible différence des enseignements orientaux et occidentaux. On ne peut que recommander chaudement la lecture de l'article dans lequel se trouve une petite pépite: la légende du chat merveilleux.

 

Elle nous est transmise par l'école d'escrime Itto, une des deux écoles impériales avec la Yagyu Shingan ryu, deux des influences majeures du Daito ryu et donc, avec d'autres, de l'Aïkido.

 

Sans doute est-elle connue de certains, d'autres la découvriront, on prendra j'espère plaisir à la (re)lire, à y trouver matière à réflexion et la mettre en regard de ce qui ce lit communément dans le buzz ambiant.

 

Avec un peu de lucidité, on y trouvera une claire description de ses propres méthodes et croyances mais aussi une réflexion utile sur do et jutsu, corps et esprit, buts et moyens, Laurel et Hardy, etc.

 

Inutile de dire que O sensei est pour moi le plus proche du dernier chat de la liste...Image may be NSFW.
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L'Art du Chat Merveilleux

 

La maison d'un samouraï avait été investie par un rat d'une particulière agressivité. Pour s'en débarrasser, le guerrier s'était fait prêter les services de plusieurs chats du voisinage, réputés pour leurs qualités de chasseurs, mais aucun n'avait su vaincre ce terrible rat. Après avoir essayé lui-même vainement d'en venir à bout – non sans dégâts considérables pour le fragile mobilier japonais – il avait entendu vanter les qualités exceptionnelles du chat d'un village éloigné. Il le fit venir.

 

Il s'agissait d'une chatte d'un certain âge à l'air placide. Lorsqu'il la mit en présence de ce rat qui s'était montré si féroce avec les autres chats, celui-ci eut un soubresaut et se tint coi. La chatte avança tranquillement jusqu'à lui, le prit dans sa gueule à la manière d'un chaton et le porta à l'extérieur. Il disparu son demander son reste.

 

Plus tard, les chats vaincus s'empressèrent autour de la maîtresse chatte et, un à un, lui demandèrent conseil.

 

Un chat noir s'approcha et vanta la valeur de sa lignée de chasseurs puis décrivit l'entraînement martial, acrobatique et athlétique auquel il s'était soumis depuis sa plus tendre enfance pour acquérir un art auquel nul rat, ni aucune loutre ou belette, n'avait su résister avant ce jour. La chatte lui répondit qu'il ne s'agissait là que de techniques, certes utiles et contenant la plus haute sagesse, mais qu'il convenait de ne pas pratiquer trop exclusivement si l'on désirait accéder à autre chose qu'à de la simple habileté, et éviter ce que ces techniques contenaient également de faux et potentiellement néfaste.

 

Un gros chat tigré s'approcha alors et parla des qualités d'esprit qu'il s'efforçait de mettre en œuvre dans sa pratique. Son énergie mentale était maintenant dure comme l'acier et libre comme l'air. Qu'un rat se présente et au moindre bruit son esprit se projetait vers lui pour l'envelopper et le fasciner. Il ne se souciait plus alors de techniques et laissait son corps faire ce qui devait être fait selon la situation. Aucun rat n'avait jamais résisté à cela. La vieille chatte lui opposa aussitôt qu'il ne s'agissait là que de force psychique et ne méritait pas que l'on s'y attarde. Le seul fait d'être conscient du pouvoir mis en œuvre pour vaincre, suffisait à agir contre la victoire. Il ne s'agissait que de la lutte d'un moi contre un autre moi, mais qu'arriverait-il si le moi de l'adversaire était le plus fort ? On finit toujours par trouver une personnalité plus forte que la sienne et alors on connaît la défaite. Mais comment se comporter face à un ennemi qui agit sans volonté ? La puissance que l'on ressent n'est que le reflet de la Vraie Puissance (ki- no-sho). Un ennemi même peu valeureux mais acculé à la mort peut se dépasser lui-même et devenir libre de vaincre ou mourir. Comment le défaire avec une force spirituelle que l'on s'attribue soi-même ?

 

Un chat gris s'inclina et dit qu'en vérité il avait compris cela. La puissance psychique si forte soit-elle, a toujours une forme et tout ce qui a une forme peut être saisi, donc défait. Ainsi, depuis longtemps, il s'entraînait à la « puissance du cœur » (kokorô). Il n'exerçait nulle puissance psychique ni physique mais se « conciliait » celui qui lui faisait face, ne faisait qu'un avec lui et ne s'y opposait en aucune façon. Le rat qui voulait attaquer, aussi fort soit-il ne trouvait rien où attaquer, rien d'où s'élancer. Mais celui-ci n'avait pas joué le jeu. Il était arrivé et avait disparu, insaisissable. La vieille chatte lui répondit que la conciliation dont il faisait état ne procédait pas de l'Etre, de la Grande Nature. Cette conciliation voulue, artificielle, n'était qu'une astuce. Que l'intention demeure et tout ce qui est entrepris ainsi entrave le surgissement de la source secrète et le cours de son mouvement spontané. D'où viendrait alors l'efficacité miraculeuse ?

 

Elle continua : « C'est uniquement en ne pensant à rien, en ne voulant rien, mais en s'abandonnant dans le mouvement à la vibration de l'Etre, que l'on a pas de forme saisissable. Rien sur terre ne peut surgir comme antiforme. Et il n'y a ainsi plus d'ennemi qui puisse résister. ».

 

Puis, elle ajouta qu'ils ne devaient pas croire que son expertise constituait ce qu'il y avait de plus élevé. Elle connaissait un matou d'un village voisin qui dormait à longueur de journées. Personne ne l'avait jamais vu attraper aucun rat et pourtant partout où il se couchait et restait étendu comme un morceau de bois, tout rat disparaissait. Un jour elle lui avait rendu visite pour lui demander de lui expliquer ce fait mais elle n'avait reçu aucune réponse. Après maintes réitérations de sa question et une absence non moins obstinée de réponse, elle avait fini par comprendre. Le matou ne mettait aucune mauvaise volonté à répondre mais , de toute évidence, ne savait quoi lui dire. Il avait oublié lui-même et avait du même coup oublié toute chose autour de lui. En devenant « rien » il avait atteint le plus haut degré de non-intentionnalité et trouvé la Vraie Voie des chevaliers : vaincre sans tuer. 

 

 

 "Je suis le vide" O sensei (citation d'A.Noquet).

 

Gasshuku 2013

 

Pour autant que je le pouvais, presque par principe, je suis allé en Asie et en Europe voir tous les esseperts de passage. Et bien sûr d'autres disciplines. Et je continuerai dans le futur (rendez-vous pris avec l'Aunkai cette année) car je me suis aperçu il y a bien longtemps qu'il y avait toujours une chose à apprendre durant un keiko. Evidemment je préfère qu'il y en ait plusieurs...

 

 

Je garde en mémoire certains, comme Sugano sensei par exemple qui, littéralement, irradiait la lumière.Déjà amputé de sa jambe, il conservait une légèreté de déplacement inouïe et mon shomen s'est perdu dans un nuage... ce fut très drôle à subir, sans blague, drôle...


D'autres m'ont semblé médiocres, 7ème dan ou pas. D'autres puants de suffisance comme certains à Tokyo et ailleurs.

 

...


 

Beaucoup parlent de P.Voarino, pour le ridiculiser ou le honnir, malheureusement très peu ont la curiosité et presque la probité d'aller le rencontrer ne serait-ce qu'une fois. Je préfère nettement les mots d'Arnaud qui un jour me glissa dans l'oreille "techniquement rien à redire mais je supporte pas le bonhomme". Au moins, c'est clair.

 


La plupart des gens ne lui répondent pas en technique car évidemment il faut assurer plus que la moyenne pour aller sur ce terrain mais sur la forme, mais quoi mais quoi, le deuxième doshu, quel scandale, patati patata, l'harmonie, tolérance, blabla.


 

Matthieu Jeandel m'avait prévenu il y a quelques années, si tu t'affiches avec nous, tu es grillé à peu près partout en Aikido en France. Bon, ça se vérifie Image may be NSFW.
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.  Par rapport à ce que j'ai reçu depuis, c'était pas cher. Et de toute façon ça m'amuse plus qu'autre chose.

 

 

Un jour j'ai décidé d'essayer et je n'ai jamais eu à le regretter bien au contraire.

 

 

A Antibes chaque année a lieu le Gasshuku de printemps. P.Voarino anime peu de stages. Voilà une opportunité, ne serait-ce qu'une journée, de passer ses propres a priori au filtre du réel...


 

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La liste des prochains stages, c'est par là...

Rachid Taha

Rien qu'un coup de coeur...

 

On pourait se croire loin de l'Aikido,

 

O sole mio.

Taha.

Elvis
Added...

 

Now or never: nous sommes en plein coeur du souffle, en pleine spirale. Comme une (belle) plante grimpe aux rideaux...   

 

Besmillah ar-Rahman ar-Raheem.

 

 

La première fois que j'ai vu tes yeux, ton amour m'a envahi

Et avec toi, toute ma vie à tes côtés, mon amour.
Quand j'ai vu tes yeux, j'ai vu ton coeur encore une fois.
Quand j'ai vu ton coeur, mon coeur est ressuscité.
Quand j'ai vu ta poitrine, j'ai vu tes yeux grand ouverts.
Et nous sommes l'un à côté de l'autre, encore une fois.

 

 


It's now or never,
come hold me tight
Kiss me my darling,
be mine tonight
Tomorrow will be too late,
it's now or never
My love won't wait.

 


 

 

 

Gagner, jouer, survivre

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Trouvé sur le site de Stan Pranin ce texte lumineux qui fournit le prétexte d'une traduction. Pas mal de gens maitrisent suffisamment l'anglais mais je pense aux handicapés du bulbe et ceux qui ont choisi Moldave en première langue.

 

Le texte original ici


C’est court et ça déménage, attachez vos ceintures.
 
 
 
Introduction de Stan san:
Le commentaire par Tom Collings sur l'article  Competitive martial arts training: “What you get, what it costs” (d'ailleurs essellent) fournit la matière de cet article. J'ai eu le sentiment que le propos de son auteur méritait une attention particuliere, notamment pour ceux qui encouragent la compétition dans les arts martiaux ou qui éprouvent le besoin de dénigrer l’aikido en tant qu’art martial.
 
 
 Et c'est parti.Image may be NSFW.
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En Février, j’ai fêté mes 25 ans de travail dans les rues du ghetto [à NYCity NdT] et j’aimerais arriver en vie à la retraite. Gagner n'a pas d'importance pour moi, la seule chose qui m’intéresse c’est la survie - c'est ma définition personnelle du mot GUERRIER. La plupart des styles ont un un point de vue valable et présentent aussi des faiblesses inhérentes. Vous devez être clair sur vos besoins personnels, puis choisir ce qui fait sens pour vous.
 
Il est vrai que le combat rapproché va souvent au sol, mais il est également vrai que dans la violence du monde réel, le sol est le PIRE endroit où se trouver. Vous pouvez facilement être coupé /poignardé et il est facile de se faire massacrer par les copains de votre adversaire.


Sans manquer de respect au MMA, mes entraînements en sparring du passé n’ont fait que renforcer ma vision tunnel, émousser ma vision périphérique (mon outil de survie essentiel) et ma sensibilité sur le champ de bataille.
 
Ce qui m'a été en revanche très utile ce sont les exercices d’O sensei tels Tai No Henko et les Kihon qui nécessitent des pivots immédiats sur l’arrière ou les déplacements latéraux hors de la zone mortelle (en face/devant). L’entraînement multidirectionnel aux armes comme Happo giri et les katas de jo qui nécessitent des changements de direction continuels se sont révélés également très utiles.
 
Les raisons du refus d'O sensei de rendre son Budo compétitif (d’inclure la compétition dans son Budo) ne sont pas SEULEMENT philosophiques, elles sont aussi TACTIQUES. Il avait vécu le combat réel [polysémie ici, la phrase peut aussi vouloir dire: son propos était le combat réel, ce qui revient au même somme toute] et ses éléves partaient au combat [ici encore: il envoyait les soldats qu’il entraînait au combat]. Il savait que tout sparring retire de l’esprit / diminue la conscience / la vision / la sensibilté du champ de bataille (la rue) et le fait passer en mode JEU, à savoir concentrer son attention sur une personne unique… mon adversaire / compétiteur et une direction seulement… EN FACE.
 
 
Si vous pouvez vous permettre de porter votre concentration totale sur l'avant, c'est un jeu, pas le combat. Vous en arrivez à compter sur l'arbitre pour surveiller votre dos et vous protéger des autres si vous allez au sol. Je ne suis pas opposé au MMA parce que la discipline serait brutale, laide et dépourvue de tout rituel Budo ou shugyo qui apporte à l'esprit calme et clarté. J’admets que mon opinion est biaisée; mon grand-père a été tué par le côté dans une bagarre, et mon partenaire [binôme de police] a été agressé par l'arrière.
 
 
JE NE PEUX PAS M’OFFRIR LE LUXE DE LA VISION TUNNEL QUE TOUTES LES FORMES DE COMPETITION INSTILLENT. Je laisse ces jeux aux jeunes athlètes et à mes camarades sportifs.
 
Une fois à la retraite, je tenterai de ramener une coupe de mini golf !





J'avais prévenu: ça déménage.


Ecouter les histoires, bénéficier de l'expérience.


1. Je ne supporte plus les démos d'aïkido un contre un, règlement de comptes à OK Corral, Far west pardon Far East. On y met en scène une gentille chorégraphie idéalisée qui concentre et résume et pérennise tous les problèmes de l'aïkido "moderne" disons contemporain.
On objectera que justement c'est de la démo et donc que c'est idéalisé consciemment mais on voit trop de tori qui jouent au guerrier sur des ukes masochistes pour ne pas y voir l'expression d'un narcissisme plus ou moins impuissant selon les démonstrateurs.


Le bois ne rend pas les coups. Basta.


2.  Le sparring c'est bien mais ses limites sont réelles. Ca éduque le cuir et l'esprit, ça apprend à faire gaffe et c'est déjà bien. Je comprends quand même mal comment et pourquoi il n'y a pas une épreuve de sparring et/ou de multidirectionnels au-delà de la saisie d'épaules au shodan d'aïkido, sans doute pour ne pas recaler trop de gens.


3. L'aikido aujourd'hui est contaminé par le principe de compétition et de spectacle sans même s'en rendre compte. Le un contre un est au fond l'essence du sport dont la soumission (et la contribution) à l'idéologie capitaliste n'est plus à démontrer, passons. Et je préfère ne pas parler des Combat Games qui portent bien leur nom. Certains jours je me dis que les situationnistes avaient tout compris et prévu: "Tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans une représentation".
Guy Debord, hélas, heureusement, hélas.


Entre O sensei qui refuse une démo pour ne pas présenter un mensonge (et plutôt que le traiter de coquetterie, pourquoi ne pas lui faire confiance?) et la grande foire des Demo annuelles, 155ème International Truc Bidulle, on se dit que le spectacle est passé par là.


4. A force de faire du un contre un, on oublie toutes les autres directions. A moins que la réalité ne nous le rappelle durement. C'est ici que les "kata" se révèlent précieux pour peu qu'on les connaisse au-delà des apparences Youtube.


5. Il est réconfortant de constater par l'expérience d'un pro que tai no henka est véritablement l'exercice premier de l'aïkido et que la sortie de ligne d'attaque est un impératif contrairement à ce qui se voit parfois où tori accepte la frappe dans l'espoir naïf ou délirant d'absorber quoi que ce soit, par exemple un shomen ou yokomen de la part de quelqu'un qui veut sa peau.


6. Dernier point. J'aime bien le MMA de loin. J'admire la dose de courage et/ou/plus d'inconscience nécessaire pour aller se fritter avec un adversaire bien entraîné et qui a aussi envie de faire fortune. Mais je crois que je n'aurais pas non plus beaucoup aimé les Jeux du Cirque: tous les romains loin de là n'y allaient pas, sauf lorsque les Jeux servirent de spectacle à une société qui s'aveuglait sur son état de santé réel…


7. Merci TOM.




Gambarimasho.






Terre, eau, feu.

 

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Décidément j'aime beaucoup lire ce bonhomme.

 

On s'en remet une couche.

 

Le texte original est à cette adresse. C'est traduit un peu à l'épaulé jeté mais le sens y est.

 

 

Thanks mate !

 

 



Les agresseurs pro-actifs sont renforcés par leur maitrise de l'espace et du temps. Ils s'appuient sur leur choix du moment et de l'endroit et sur le fait que leur victime réagira trop tard.


La majeure partie de ma vie s'est passé à faire respecter la loi, dans des hôpitaux psychiatriques ou des centres spécialisés pour jeunes (délinquants je suppose), des boulots dont le point commun est d'avoir affaire à des gens désespérés qui sont enclins à la violence. Il existe d'excellents systèmes de gestion de la violence qui offrent un entrainement pratique en désescalade de situations potentiellement violentes et en intervention physique si besoin.


Les trois formations majeures sont l'Institut de Prévention des Crises (Crisis Prevention Institute), L'intervention psychologique et physique non violente (Non-Abusive Psychological and Physical Intervention) et Intervention de Crises (Therapeutic Crisis Intervention en.wikipedia.org/wiki/Therapeutic_Crisis_Intervention, à peu près intraduisible, Cf. le lien). J'ai trouvé que ces trois programmes cadrait bien avec l'état d'esprit du Budo tel que le présentait Ueshiba le fondateur de l'aïkido dans leur souci de préserver l'individu qui représente une menace pour nous ou ses collègues. Ces programmes sont ouverts à tous ceux qui travaillent dans les forces de maintien de la paix, le système médical ou l'éducation et ils étendent nos outils martiaux à des applications plus vastes en dehors du dojo.


Dans le système d'intervention en situation de crise de l'Université de Cornel, le comportement agressif est divisé en deux types distincts, chacun avec sa dynamique et nécessitant des réponses différentes.

Le premier type est dit de "l'agressivité réactionnelle" qui se caractérise par une forte charge émotionnelle, une perte de contrôle mental et physique et très peu de motivations autres que de libérer sa colère. C'est le type même du patient psychotique, du conducteur enragé, l'alcoolique (l'alcoolisé) violent, bref tous ceux dont la charge émotionnelle submerge leur capacité à réagir de façon non violente. Ce comportement entre en éruption comme un volcan et il n'y a pas ou peu de décision consciente lors du passage a l'acte.

Le second type d'agression est appelé "agression proactive / volontaire" et se caractérise par peu ou pas d'émotions, une motivation précise et un contrôle mental et physique modéré ou fort. C'est le tyran persécuteur qui utilise la violence ou la menace ou bien le prédateur rompu à l'agression violente. La cible est choisie avec précision ainsi que que le lieu et le moment. Si la victime semble une "cible dure", la violence est abandonnée ou dirigée ailleurs.

Ces deux types d'agressivité sont des situations potentiellement violentes mais l'usage de la violence dans une situation tangente est influencée par nos actions. Notre réponse peut minimiser ou accroître la probabilité de violence. La violence n'intervient pas de façon isolée, indépendante, c'est UN PROCESSUS DE COMMUNICATION / RELATIONNEL.

La meilleure réponse à la charge émotionnelle et de demeurer calme et stable. O sensei symbolisait cette attitude par le carré, les qualités de la TERRE. La colère de l'individu submergé par ses émotions peut souvent être apaisée, dé-escaladée avec une attitude d'empathie, une présence calme et en donnant de l'espace et du temps pour la laisser s'exprimer fort et longtemps. Le contrôle de la violence le plus puissant et le plus efficace que j'ai trouve consiste à ECOUTER. Ca n'a l'air de rien mais écouter est difficile et par là je veux dire: ne pas interrompre, ne pas polémiquer et ne pas faire la morale. Une écoute habile consiste à se taire et rester calme en NOUS MEMES et ne pas jeter de l'huile sur le feu en utilisant la phrase habituelle mais inefficace "calme toi" qui nie l'intensité de la souffrance.

Plutôt qu'essayer de calmer les gens en colère, je fais en fait l'inverse - je les encourage à exprimer leur colère oralement, à laisser vider la pression fort et longtemps. Cela permet de décharger la même dose d'énergie mais sans danger et dommage. L'attitude sur la réserve "non active" qui consiste à bien  écouter active en nous les qualités de l'élément Terre, cet endroit paisible qui nous permet d'être au milieu du bruit et de la fureur sans avoir envie de "faire" quoi que ce soit. Mon ami Terry Dobson disait "parfois ne rien faire est une réponse très puissante".

Dans les cas où la colère de l'individu submerge leur capacité de contrôle, nous devons être prêts à répondre physiquement. L'individu excité tend à téléphoner ses intentions violentes et puisque nous avons donné à cette personne beaucoup d'ESPACE personnel, nous avons le TEMPS de réagir. Les attaquants réactifs perdent leur contrôle mental de sorte que lorsque leur violence explose, ils ont beaucoup d'énergie mais peu de contrôle physique, leur équilibre est médiocre et facile à perturber. La non résistance, symbolisée par l'EAU marche très bien sur ces personnes. O sensei dit de devenir l'EAU, qui est souple, réceptive et n'offre pas à ces personnes la la résistance stable dont ils ont besoin pour ne pas tomber. L'aikido tel qu'il est couramment pratiqué est un bon entraînement pour ce type de violence dans la mesure où on met l'accent sur une harmonisation souple et non résistante.

L'aggression proactive du tyran ou du prédateur présente une dynamique complètement différente qui requière une réponse pro active. La nature passive de l'aïkido moderne nous ne nous y prépare pas. O sensei décrit souvent le FEU comme un élément essentiel de son Aiki qui confère de l'énergie, de la concentration, de l'intensité à nos actions mais qui est rejeté dans la majorité de la pratique actuelle pour laquelle bouger durant ou après l'attaque est la norme. Mais le FEU n'a pas à être destructeur et ne signifie pas forcément pas dureté, c'est un élément d'UNE REPONSE ACTIVE PRECOCE.

Lorsque le prédateur commence son approche, le FEU en nous envoie un fort signal "ARRIERE" accompagné d'un geste, d'un ton de voix, d'un comportement physique et un coup d'oeil qui envoie clairement le message "TU ES PREVENU". C'est la "douve" d'énergie que le Fondateur décrit. Le message transmet une information importante POUR LE PREDATEUR: cette proie est consciente d'un danger, cette proie connait mes intentions (de loin), cette proie pourrait être difficile, pourquoi ne pas attendre quelques minutes et en choisir une plus facile (à approcher). Utilisé à bon escient et avec le bon timing, l'élément FEU en nous peut faire reculer ce genre de personnages. Ce n'est pas de la théorie. Plus d'une fois, j'ai arrêté des criminels qui étaient plus fort et plus endurcis que moi. Je crois qu'une fois, ça m'a épargné le dilemne de tirer sur quelqu'un.

Les agresseurs pro actifs sont renforcés par leur contrôle / maîtrise de l'espace et du temps. Ils s'appuient sur leur choix du moment et du lieu et ils escomptent que leur proie va réagir trop tard. Ils utilisent des feintes verbales, la distraction et la confusion momentanée pour s'approcher suffisamment près et lancer leur attaque, avec ou sans une arme. Une fois qu'ils ont cassé la distance (c'est étonnamment facile avec la plupart des gens), PERSONNE NE PEUT REAGIR A TEMPS. Il existe une pensée magique qui court dans tous les arts martiaux. "Si j'acquiers une très bonne technique, je serais capable de l'utiliser u dernier instant". Ce mode de pensée est si pervasif et accepté qu'il est devenu un mythe universel des arts martiaux, renforcé par la la subtile chorégraphie de démonstrations sans erreur.

L'entraînement moderne de la police aide les policiers à comprendre que une fois qu'ils ont permis à un individu agressif de s'approcher suffisamment, leur temps de réaction est rarement suffisant pour leur permettre de se défendre avec leur arme ou à main nue. Voilà pourquoi 50% des policiers sont tués AVEC LEUR PROPRE ARME. L'entraînement moderne des policiers leur apprend qu'ils ont besoin de plus de 6 mètres [21 pieds soit 6,5 m brassa mada] pour réagir avec succès contre une attaque surprise au couteau. Et pourtant de nombreux amis pratiquants croient encore qu'ils peuvent attendre (et attendre et attendre) jusqu'à ce que l'intention et l'attaque soient bien claires avant d'agir.

Le FEU, bien qu'il ne soit pas nécessairement dur, est EXPLOSIF ET INATTENDU. Si la réponse à notre avertissement puissant n'a pas pour résultat un arrêt immédiat de l'approche (quelle que soit l'habileté de la réponse verbale), nous AGISSONS. Cela peut prendre la forme d'une frappe, une feinte, une distraction suivie d'une projection ou d'une immobilisation, le dégainage d'une arme, hurler pour appeler de l'aide ou s'enfuir. Le timing de l'action est plus important que la NATURE de l'action. En agissant LE PREMIER, vous placez l'AGRESSEUR DANS LA POSITION D'AVOIR A REAGIR. la VICTIME CHOISIT MAINTENANT le lieu et le moment exacts de l'interaction physique. 

Pendant quarante ans, j'ai passé mon temps sur le tatami à attendre passivement d'être saisi ou que mon partenaire vienne à moi pour une frappe. Bien sûr ils saisissent ou frappent de la manière prescrite et il est facile d'entretenir l'illusion que j'ai "réagi" avec succès. Même au Japon, je n'ai trouvé que deux dojos où le défenseur est le premier à bouger pour initier la technique (où on met uke en place pour la technique). C'étaient des dojos exceptionnels ou le kiai et l'atemi dynamique de l'aiki budo étaient encore au coeur de l'entraînement d'aiki.


On dispose désormais d'une documentation suffisante sur les mots et les conseils d'O sensei pour savoir que - à part pour les exercices préliminaires (kihon dosa) - il ne croyait pas l'attente, il croyait à la prise de contrôle précoce et active. Ses élève directs ont à de nombreuses reprises rapporté que O sensei semblait passif parce que ses actions "initiantes" étaient si subtiles qu'ils ne réalisaient pas qu'il était déjà en train de bouger. Un de mes professeurs, Kazuo Chiba, rappelait que Ueshiba disait "ce n'est pas le Budo si vous commencez votre mouvement seulement après que la frappe (l'attaque) est en mouvement".


Nous pouvons rester dans notre zone de confort ou prendre O sensei au sérieux quand il nous enjoint de pratiquer le TAKEMUSU AIKI - la volonté d'incarner l'élément que la situation exige, TERRE - EAU - FEU. Ces dernières années, mon entraînement est entré dans un nouveau et étrange territoire. En plus des exercices fluides et dynamiques d'harmonisation, je travaille désormais à mettre en place mes techniques SANS ATTENDRE LA SAISIE / FRAPPE MAIS EN BOUGEANT LE PREMIER pour mettre en place la technique. Cette pratique est difficile et moins prévisible. Moins prévisible signifie plus dangereux et donc la vitesse de pratique doit être adaptée aux capacités du partenaire.


Je suis en train de décrire une pratique "fondée sur la recherche" plutôt que pratique artistique habituelle (embu). Ma pratique ne semble plus aussi gracieuse et artistique que mon ancienne pratique. Je n'ai pas d'avenir sur Youtube. Mais l'entraînement quotidien est plus excitant maintenant que jamais auparavant - c'est comme tout recommencer, au niveau suivant. C'est jouer avec l'espace, le temps et jouer avec les réactions d'uke (les attaquants). Je crois que O sensei appelait cette pratique "cultiver l'attraction" [la force attractive chère à G.Blaize].


Nous pouvons prévenir la violence et lui répondre habilement si la violence est inévitable mais nous devons avoir un accès déshinibé et spontané à tout ce qui est en nous, la gamme complète des réponses humaines. TAKEMUSU AIKI n'est pas qu'une philosophie, c'est notre PRATIQUE et si nous la pratiquons elle ne nous trahira pas.

 

 

 

J'ai envie de ne faire aucun commentaire tant ce texte se suffit à lui-même. Comprenne qui veut et peut.

 

 

Gambarimasho.

Aunkai

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Autant le dire tout de suite, j'étais très sceptique à propos de l'Aunkai.


Je crois que cela tient à la personnalité des gens (ou ce que j'en percevais, mauvais esprit que je suis) qui en font l'apologie dans le micro milieu de l'Aikido. De la même façon que certains se tournent vers un Daito ryu passablement imprégné d'Aikido pour dénicher un truc qui leur manque, je trouvais sans bien me le formuler que les aikidokas qui ne jurent que par l'Aunkai (OK, j'exagère une fois de plus) feraient mieux de se livrer à la critique sans complaisance de ce qu'on leur apprend pour identifier et combler leurs lacunes. Critiquer ne signifiant d'ailleurs en rien montrer de l'ingratitude, je serai jusqu'au bout reconnaissant à tous mes professeurs passés pour avoir été au bon moment sur mon chemin.

 

Vu de loin, j'avais envie de blaguer et de dire "si ça leur chante de faire des isométriques, grand bien leur fasse". Isoler une partie du corps dans une contrainte pour ressentir où ça coince ailleurs me paraissait un rien basique dans la mesure où on est amené à faire ce genre d'analyse dans toutes les activités dans tous les domaines, natation, dessin, truelle, jardinage, e tutti quanti.

 

Il va de soi que la conscience de notre corps est trop souvent limitée car enfermée dans nos conditionnements socio psycho truc. Je vais dire "on" pour ne pas m'illusionner sur mon état d'avancement: on se tient mal, on marche mal, on se couche mal, on utilise mal le peu de force qu'on détient temporairement, bref on se meut mal. (Ca c'était juste pour le son bovin).

 

Cela dit si tant de monde y trouve de l'intérêt c'est qu'il y a une raison. Curieux de nature, j'ai commencé avec l'ami Kiaz une longue discussion sur Internet sachant que je n'aurais pas avant longtemps une occasion de le rencontrer, lui ou son prof. On a saisi l'opportunité comme il le raconte ici.

 

En résumé, on est tombé à peu près d'accord sur tout, sachant qu'on a deux chemins vraiment très différents. Je ne connais pas grand chose au karaté ni aux techniques chinoises et de son aveu même l'aïkido est un mystère à peu près complet.

 

C'est un point intéressant parce que l'Aïkido apparait souvent ainsi aux gens de l'extérieur et moi le premier. J'ai mis des années avant de pousser la porte d'un dojo et de l'intérieur on sous-estime l'aura de la discipline à l'extérieur. Et on la comprend d'autant moins que les exercices propres à l'Aikido sont souvent incompréhensibles et paraissent totalement déconnectés de la réalité bien simple du bourre pif ryu… "mais pourquoi il tombe et pourquoi je devrais tomber et pourquoi que j'attends qu'il attaque et expliquez-moi please quelqu'un que comment un art martial c'est un art de la paix?"

 

Au-delà de ces questions torturantes pour bac littéraire, il faut quand même bien dire que vu de la Pouille-ha ça parait un rien mou des genoux cette histoire et que pas mal de 50 ème dan font pas peur à grand monde. Peut-être à tort qui sait ? parce que, par ailleurs, Ueshiba, O sensei, (tout le monde ne reçoit pas ce surnom) est une légende du Budo donc quand même il doit bien y avoir un fond de quelque chose derrière tout ça. Je crois que Kiaz, il le confirmera peut-être partageait cette image ambivalente de la discipline, y compris ou à cause de ses contacts avec les aikidoka rencontrés grâce à l'Aunkai. Il mimait l'attaque neurasthénique de base en rigolant gentiment (car c'est un gentil même quand il se moque). A sa décharge, il faut bien admettre que pas mal de pratiquants se réfugient fort commodément dans cette ambiguïté.

 

Alors on a échangé et force est de reconnaître qu'on est d'accord sur à peu près tout. On travaille sur les mêmes choses, on se comprenait très vite et parfois on lâchait le même mot au même moment. J'ai compris aussi pourquoi l'Aunkai attire aussi les "frappeurs" et pas seulement les "tordeurs". Une fois pigé le but des exercices ça tombe un peu sous le sens.

 

Je ne parlerai pas du fond, je ne me sens pas habilité à le faire publiquement et je le dois à des gens, Matthieu Jeandel au premier chef, qui l'expliquent bien mieux que moi.

 

Pour être franc, je trouvais son age te pas trop brillant mais en quelques minutes il l'a rectifié pour en faire quelque chose de puissant et bien dense, ça sera intéressant de savoir si ses copains perçoivent une différence. Cet exercice du Daito ryu est la plupart du temps incompris et n'est habituellement construit que sur des trucs - et j'insiste bien sur ce mot. On agite les mains on les tourne les mimines, une en l'air une en bas, avant saisie, en flottement, etc. Malheureusement ça passe complètement à côté de l'essentiel qui est de cultiver le kokyu rokyu, la puissance dans la respiration dont parle abondamment Gozo Shioda par exemple.

 

J'ai un peu de mal à relier age te / kokyu ho à l'Aunkai dans la mesure où tout ce que j'en ai vu ne l'utilisait pas en tant qu'élément premier de la stratégie (l'âme du 1er suburi selon moi) mais comme une sorte d'ingrédient. En même temps quand on voit Akuzawa bouger, on se dit qu'il a travaillé le kokyu, nul doute. La prochaine étape sera si les kami le veulent d'aller ressentir le kokyu de son prof, je m'étais passé une vidéo image par image pour bien analyser ce qui pouvait l'être, je demande à sentir - dans un futur hypothétique et lointain, insha'Allah.

 

En définitive, les deux disciplines semblent emprunter deux chemins pour un même but. L'aikido utilise le waza, la forme pour arriver à l'essentiel qui permet la liberté (pour peu qu'on utilise la bonne méthode et les bonnes formes, c'est une autre histoire, fort polémique). L'Aunkai travaille une forme "abstraite" pour acquérir le fond nécessaire à l'application libérée de techniques variables selon les disciplines.

 

Ca explique très largement pourquoi la méthode attire des gens aux parcours très divers. Ca explique aussi pourquoi les aikidoka qui souffrent d'un manque chronique de fond cherchent dans l'Aunkai des solutions à leurs problèmes. Ils y trouveront sans aucun doute des éléments de réponse au moins pour les problèmes majeurs de structure. Pour le reste, la réponse est dans le waza et si on n'utilise pas la bonne technique, l'Aunkai ou toute autre méthode non directement technique sera probablement inutile.

 

En clair, je suis intimement convaincu que l'auto hypnose et la transe chamanique peuvent aider l'aikidoka mais si celui donne sa carotide pendant l'exécution de la technique (tout en croyant honnêtement sincèrement bien faire), eh ben, ça fera un shaman mort.

 

Pour le reste, j'ai bien aimé sa forme de corps quand il travaille au ras de l'adversaire en entrant dans la zone de sécurité. Ca sent la bonne cuisine chinoise et les atemi en rafale. L'existence et l'intérêt de hito e mi lui étaient inconnus et je pense que ça va le faire cogiter. Et alors j'ai vraiment bien aimé le push out.

 

Sinon Kiaz c'est un client, il est solide, cohérent, bien compact, il tape bien pénétrant. Il dit avoir bénéficié de l'Aunkai et je le crois volontiers, d'autant plus qu'il avait un fond préalable qu'il a d'ailleurs sévèrement remis en cause plusieurs fois, ce qui est un signe de courage et de lucidité. Les deux trois exemples de karaté do qu'il m'a expliqué m'ont fait irrésistiblement penser à la perte de substance qu'on observe parfois dans la Voie de la Paix. Errare humanum est, perseverare diabolicum

 

Tout un travail de recherche sur la forme qu'il peut d'autant mieux exprimer maintenant.

 

En conclusion: je recommande. Un peu beaucoup de structure ça peut pas faire de mal. Et j'aime décidément bien le bonhomme. Je retourne de ce pas explorer TCJ... ;-)

 

 

 

Yamabiko no michi

 

Yamabiko no michi

 

 

In his 1973 book, Traditional Aikido Vol.1-Basic Techniques, Saito sensei described Irimi as "Yamabiko no michi" shortly before explaining Shomen Irimi nage in the following pages.

 

This book series presents an unequaled interest to any practitioner and I think one should make the effort to study it in detail. (Obviously that is not enough: the weapons work is almost incomprehensible without a competent teacher who knows the full meaning of the kata).

 

The first surprise with this book about aikido is of course its title: Traditional Aikido, subtitle Sword - Stick - Body Arts. The wording "Traditional Aikido" can now rise a smile as one could argue that the word has become a marketing trick, but in 73, obviously, it meant something precise to Saito sensei who was already facing some degree of uncontrolled evolution from the founder's techniques .

 

The logic of O Sensei's Aikido in Iwama is clearly stated and summarized by Saito Sensei: Aikido is the RIAI, it is the method and principle. Volume 5 deals with this notion constantly. Nothing makes more sense then to discover that the first lesson of Aikido of these five volumes is a weapon lesson: the first chapter is devoted to the sword and the seven suburi.

 

Then soon enough, page 51, the principle of irimi, here: Yamabiko no michi.

 

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Irimi-yamabiko

 

We learn that - alas! I do not know its source, presumably O Sensei himself ... - that the principle of irimi, see above: "was considered a secret technique to escape multiple attackers.

The other name is Yamabiko no michi, the path of an echo. When you extend your ki, the ki of the opponent will return to you like an echo you back like an echo. However, you do not receive your opponent's ki  because you have instantly moved to her back".

Followed by two famous doka.

 

O Sensei refers to another doka that caught my attention as perhaps less known but very beautiful and very informative ***

Omokoro or

totachi NASHITA

or naka iku

Ai no kamae wa

Yamabiko no michi

 

English translation

(By John Stevens, The Essence of Aikido, Spiritual Teachings of Morihei Ueshiba)


On this very earth (here and now one is tempted to say)

stand as firmly as a god (for O Sensei this is not only a metaphor but a reality: incarnate the god, let flesh become divine , kami waza ...)

Flourish In The very center (and when it comes to flower in the East how not to think about the lotus, the principle of growth, elevation? / in the center, your center)

The stance of love is (and more precisely, the guard, the kamae of harmony / unification rather than love - a bit too new age for me, sorry)

The Path of the mountain echo

 

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...!

 

Stand here and now, making your center the place of creation, our guard will operate as an echo.

"When you extend your ki, ki of the opponent you back like an echo."

 

We call and we receive a response.

We initiate and we unite with the response.

 

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Tori: Take one step away with the right foot, immediately hit your opponent's face with your right te-Gatana (...)

Uke: Seeking to head off the strike the right arm. "

O Sensei, BUDO p 45/46

 

Instead of waiting for a shomen or any other action we begin.

It's a reflex since we always react quickly to stimuli. The partner/opponent which will easily become our mirror or reflect what we give. A handshake, a smile, a disgust within you / the other will have an immediate echo.

 

Thus we initiate the shomen to attract a response from the opponent.

This way we are able to be with him/her very early in the process, just by taking the initiative ...! So we are never late. We unite immediately, we embrace and cancel the aggressive intentions. Just like in Shomen Ikkyo.

 

That is a major revolution O Sensei achieved, both rational, concrete and symbolic.

 

- Rationally, the strategy to begin will avoid being late or working with our reflexes.

Too often this attitude results in a disaster. Only over trained stand a chance: it is a battle between strength / speed / training. Suffice to say that we will always late, guaranteed. Shomen ikkyo in these conditions? Book a cab for A+E.

(When in feet-fists combat, liberation comes when uke is deprived of the initiative).


This early unification prevents the strenght to grow, to reach us and we can control it with ease. Since we do not oppose it but diverge the force right from the beginning, the strength of the partner no longer exists. This allows even small or  relatively "weak"practitioners (compared to muscular monsters) to be effective without performing physical prowess.

 

- Symbolically, based on a well performed technique, uniting energies will create the possibility of a different relationship with the other, less or non-confrontational.

 

Assume the conflict will help cancel it. This strategy allows to guide and finally cancel the fight.

 

 

We then see that the principle of Irimi is way more than simply enter as often translated. Moreover, it is to create, stimulate the movement of the partner to better control it immediately, take the echo of our gesture and calm this mess in the ukemi.

 

It all started at the beginning. The important thing is at the very beginning. The fight is already over.

 

Today ...

Unfortunately, almost all demonstrations show a omniscient, omnipotent tori dominating uke… waiting to use his technique and make him fly.

 

That implies reviving the old confrontational duality undercover of nonviolence claims, it means reinstalling the invincibility as the central fantasy, it's being deluded about his own abilities of reaction and eventually it condemns oneself to a paranoid training that consists in awaiting uke's aggression.

 

(What do you mean, I push it far ? Image may be NSFW.
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)

 

We often see O Sensei initiating uke's moves with a tiny sign, a nothing, a gesture, an opening - and having reached his level he did not need more these subtle signs... The moment he reacts to that stimulus, Uke is no longer master of its destiny.


Concretely and symbolically Yamabiko no michi is a major concept of Aikido.

 

---

 

As a conclusion, let the master teach.

Beware of micro signs to well-trained ukes: at 0'26, 0'34 it is obvious.

 

 

 

From Daito ryu: nikyo

 

 

Exploring Daito ryu is really interesting to figure out what makes aikido both close and fundamentally dissimilar to its glorious ancestor.

 

Gyaku Ude Dori / Muna Dori Nykkyo.

 

Muna dori is a very serious threat as are all grabs. Whatever happens next is unlikely to be friendly.

 

Daito ryu when confronted with muna dori goes straight into mean self defense mode:


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gyakuudedori

 

Strike on uke's arm to bring him down (3), strong action on the wrist (4) and finishing as in aikido (hand rotating in the palm - pinning down). No doubt it is efficient.

 

Aikido


The technique is explained in details here, it is written in French but the images are good enough to explain the point and the video here makes things very clear. Please take a moment to watch them.


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nykkyo2

 

 

The real difference is not that aiki is less efficient or less self defense oriented. It is just about the same technique… and the ending is pretty much similar, apparently. 

 

The road to the end is different though  and serves a different purpose: Tori does not defend himself, he literally blends with uke's body to apply a soft and firm twist. He malaxes, massages, trains and forms uke's whole body. He can target any specific body part and make uke's undulate, swing, adapt.

 

P. Voarino adds what may be the most important explanation with a few words: "what must lead you here is not a feeling of destruction: damaging Uke's body is not the point. The point is to help him get acquire more flexibility and a fitter/healthier, stronger body. Take him in your arms with this feeling". 

 

The difference may look small but it means a lot. Ellis Amdur also expresses that strong statement: "uke is provided with the opportunity to stretch and strengthen his joints and connective tissues". He quotes K. Sunadomari "it is best to practice these technique letting go of physical power and with intended purpose of softening the joints".

 

That would be the first step of body and skill building. 

 

Ultimately, tori is not the one who wins, he gives ukes something, he serves uke… Nikyo is an example of mutual help, maybe the best obvious one, coming only second after ikyo… Many, many, too many persons in Aikido think nikyo is an expression of tori's dominance. They could not be more wrong.

 

That leads to a totally different point of view on the roles of tori and uke, the matter for a future article maybe. 

Hagler - Leonard

 

Une discussion avec Matthieu Jeandel me remet en mémoire la boxe. J'ai pratiqué un peu de française, le temps d'en prendre plein la tête. D'ailleurs je vais me mettre à l'anglaise. J'ai trouvé un club dans le quartier chaud (Geylang) qui m'a l'air très bien.

 

La boxe on aime ou on n'aime pas (et je peux comprendre ça, je suis pas sûr de tout aimer dans ce milieu...) mais c'est une discipline passionnante et qui apprend plein de choses. L'esquive, la lecture, l'initiative, la psychologie, l'irimi etc.

C'est souvent dur à lire car ça va vite. Mais on retrouve toutes les notions de l'aikido: irimi, tenkan, ki musubi, ouveture, fermeture, ma- hai de-hai, aïe aïe aïe, etc.

 

Pour illustrer tout ça, un combat s'impose: celui qui a opposé Marvelous Marvin Hagler   

 

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et Ray "Sugar" Leonard.

 

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Pourquoi ce combat? Une opposition de style unique entre deux athlètes, deux caractères, deux stratégies à leur sommet, un étalage de technique ahurissant, et quantité de moments qui sont autant de rencontres entre deux esprits, deux âmes comme dirait Sagawa sensei.

 

Pour situer les choses:

A ma gauche Marvin Hagler, puncheur, dur, fort, rapide, 52 KO / 62 combats, une machine à détruire. Deux ans auparavant il a battu Thomas Hearns par KO dans le combat surnommé "la Guerre". Le premier round a été qualifié de meilleur round de l'histoire des mi-lourds (la catégorie reine dans mon esprit menfin chacun voit midi à sa porte).

On a parfois dit de lui qu'il ne savait pas taper sur des cibles en mouvement. Mouais. N'empêche qu'un seul de ses crochets dévisse les vertèbres de 99% des gens. S'il vous touche: trop tard. Largement favori devant Ray Leonard qui revenait après un break de trois ans dans une controverse de tous les diables (opération à l'oeil, deuxième come back etc). Un simple coup d'oeil et on comprend vite le problème: une machine vient à votre rencontre et chaque coup peut faire KO. Sur Youtube, vous trouverez le best-off, c'est impressionnant. Undisputed.


Ray Leonard? je n'en dis rien parce que je voudrais vous laisser le découvrir. Disons qu'il n'était pas un puncheur né - encore que je n'aimerais pas en prendre une… (après tout il a eu le même Thomas Hearns à la bagarre dans les derniers rounds…) Mais surtout un guerrier à l'intelligence exceptionnelle, un esquiveur de première. Un artiste. Et voilà j'en dis trop.

J'appelle l'un Ray et l'autre Hagler, pas difficile de voir où va ma préférence mais respect absolu pour Marvin par ailleurs (vaut mieux Image may be NSFW.
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).


Le 6 avril 1987: The Super Fight.

Ecrire une belle envolée lyrique sur ce combat serait facile. Mieux vaut regarder.

 

 

 

 

Qu'en retenir? 

Que la boxe peut être belle dans ces conditions, au plus haut niveau. Je la trouve belle aussi dans les clubs d'amateur - en continuité (c'est grâce à ces milliers d'amateur que le haut niveau existe) mais pour des raisons différentes (création de soi, apprentissage, etc).

 

 

0'4. Ray garde basse tourne autour, se rapproche, contrepied ou feinte de pied, un peu comme Arnaud conseille, va au front, gauche / droite  dans les gants pour distraire, faire bouger la garde et PAM ! gauche lumineuse, plein cadre, Hagler ne l'a même pas vue venir, il en rigole. Frappe pure.

Tout est né d'un placement de pieds au début. Tout y est: le placement de pied flottant qui déconcerte l'adversaire, créant un contrepied sur trois fois rien, les deux frappes d'approche, la conclusion.  

Avertissement sans frais. Ray n'espérait évidemment pas mettre Marvin KO en début de combat mais ça illustre ce qui va se passer pendant le combat, la précision extrême, la mise en application du principe irimi dans une "forêt de lances", pardon de missiles de Hagler…

Jusqu'à 0'20 ensuite de l'observation. Aucun des deux ne trouve l'ouverture, les deux ki sont liés. 0'20 Gauche surprise de Ray dans cette phase d'évaluation.

à 0'30 Ray surprend Marvin sur un contrepied encore et rate trois frappes que Hagler esquive en beauté (comme quoi il savait aussi esquiver - évidemment, à ce niveau ils savent tout faire).

0'44 Hagler réussit à surprendre Ray en plaçant un monstre - Ray l'absorbe en cata, allant dans le sens du coup… absorption yin fascinante.

0'49, un contre de Ray que Hagler évite prudemment. En boxe ce sont les contres qui font les KO le plus souvent. Même capacité d'absorption que Ray. 

 

Les secondes suivantes: Hagler garde haute, coudes serrés, un bloc qui avance au pas, un char d'assaut, tout dans le placement de l'épaule qui semble viser sa cible VS Ray garde basse (face a des meilleurs puncheurs du monde - quand même…!), flottant, dansant, mobile, insaisissable. 

D'où au passage la nécessité de katate dori ou d'une saisie si on veut taper à coup sûr... ce n'est pas une convention de travail...

 

A 0'59 il pare une droite mais il pourrait se retrouver dans un problème qu'il évite dans une large esquive à droite (s'il tenait une lance il pourrait piquer - premier kumijo), 

 

1'08 rebelote garde basse et direct du gauche plein cadre suivi du crochet droit qui aurait pu faire mal si Hagler ne se débrouillait de la situation en revenant au corps. La sécurité est au plus près

1'17 Droite meurtrière d'Hagler qui avance pour trouver la distance. KO possible. Parade étrange de Ray qui laisse passer le tsuki et se retrouve quasiment en position d'irimi nage typique. Il essaie même d'exploiter le retour d'Hagler qui se repositionne de face, heureusement que ce dernier s'abrite dans les gants


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1'20, un contre de Ray qui aurait pu mal tourner, Hagler qui s'accroche pour ne pas manger cher…

1'28, encore un contre après une esquive, frappe au foie et travail psychologique après le gong, provocation genre "ah tu croyais que ça allait être simple, ben tiens non seulement je te tiens tête, je marque et si tu fais pas gaffe en contre je te mets KO"

1'51 la frappe surprise de Ray, une frappe sèche et puissante au ventre, comme ça doit faire mal… action suivante encore un contre, Hagler qui en vacille. Toute la classe de Ray éclate au grand jour: le frapper est difficile et à la moindre erreur on en prend une. A ce moment il domine Hagler en technique, en esprit.

Et dans cette série, un mouvement de fou que je n'ai jamais vu ailleurs: deux moulinets et frappe au ventre comme à la parade. Un truc de dingue.

2'13 enchainement droite gauche droite gauche, Hagler mange une cascade qui aurait pu éliminer un autre.

Illustration de l'importance de prendre l'initiative et imposer son tempo, son timing (toute l'histoire de la capoiera…) et Hagler qui rigole: c'est de bonne guerre et même s'il s'est un peu fait avoir, aucun coup n'était décisif, un seul porte. Tout le mérite lui en revient: pris dans la série, il réussit quand même à bouger et éviter le pire. Chapeau.

2'20 le regard de Ray: attention globale, aucune info, tout dissimulée et tout disponible face à Hagler qui avance encore et toujours, super méfiant. Ki musubi, les deux ki liés l'un à l'autre.

2'33 encore ces frappes qui sortent du néant...

 2'39 esquive de folie de Ray dans le déplacement, juste une accélération de rien... et Hagler tape dans le vide, perd l'équilibre et quand il se retourne, Ray s'est précipité pour le cueillir… un peu tard

2'46 esquive d'école

2'49   enfin deux frappes d'Hagler et et la tête de Ray part méchamment en arrière, il se sort des cordes à l'arrache, perso je serais KO par terre sur une frappe de ce genre. Sur l'action suivante, Ray lui en colle deux, preuve qu'il est lucide. Constamment Hagler se fait cueillir dans ses déplacements avants, Ray attend et entre dans sa garde s'il réussit sen no sen une fois, KO assuré. 

à partir de 2'57 Hagler fait payer tout ça et enchaîne.. Ray doit voir des étoiles… Il esquive, il accroche pour se donner du temps et de l'air

3'10 Ray est dans les cordes et se prend une frappe au ventre qui le plie en deux (3'15)  il tente de répondre mais Hagler y croit. Sale moment, sauvé par le gong… 

Round 6 la fatigue commence à ralentir Ray… qui place quand même une frappe surprise à 3'44 et une série à 3'47 

3'53 Ray dans les cordes.. il se défend, esquive, frappe les frappes pour dévier, et s'extirpe des cordes en placant des banderilles précises même si elles ne sont pas "puissantes". Assez pour désunir Hagler et sortir… fiouuuu

4'13, crochet de Ray plein pot… il donne l'impression de taper sur un mur…! et Hagler avance, droite, esquives de Ray encore et toujours, une série d'escarmouches, Hagler qui réduit la distance et touche (4'37), Hagler avance et parvient à rester près… et touche.

Et Ray qui parvient à en placer quelques uns, obligé de boxer à moins d'un mètre…

Le voilà le ma-hai… on voit les deux se tenir à un pas et demi, Hagler qui avance, et dès qu'il sont à distance, tout se joue en un éclair. Fascinant de voir Ray attaquer quasiment dans l'attaque, contrer le taureau, tout jouer dans une non garde (mu kamae), apparemment ouvert et pourtant…

4'57 bel exemple. Hagler qui en rigole une fois de plus. Tous les contres de Ray font mal mais il peut les encaisser, 5'01, il attend son heure, le missile qui fera KO. Va savoir qui a raison a cet instant. Est-ce Ray qui prend Hagler dans sa stratégie ou Hagler qui accepte le jeu en attendant ZE ouverture décisive…? Ki musubi total

Exemple, 5'08: deux esquives magistrales de Ray et juste après Hagler passe une série de frappes monstrueuses, précises, sèches qui pousse Ray dans les cordes…. droite gauche travail au corps, uppercut: tout y passe… et pourtant dans la sonnerie du gong, Ray contre attaque, gauche uppercut a son tour…

Illustration du fonctionnement de la série, du balancement droite gauche (on pense à la perfection du 1er kumijo de ce point de vue).

Hagler super frustré qui pensait le tenir…oui mais le gong, Ray a bien géré le temps… (là on s'éloigne du budo pur, on est dans un ring, dans une discipline normée mais il y a une leçon a prendre: gérer le temps qui nous reste: disons qu'on a cinq minutes à tenir avant que les copains arrivent par exemple…)

Round 8

5'28 Ray mange, Hagler commence la destruction croit-on. Droite deux fois, d'ailleurs il a changé de garde, il est à droite, décidé à taper. Objectivement, sa gauche n'est pas assez vive pour surprendre Ray qui le contre tout le temps. Et même comme ça il se fait encore cueillir (5'40)

5'42 feinte de frappe façon école… et impose son tempo, dommage ça tourne court

5'52 frappe surprise dans le temps / déplacement d'Hagler, remarquable et deux esquives de fou pour éviter la colère du taureau

5'55 série d'esquives et de frappes de Ray, échange de crochets… 

Round 9 la guerre

6'08 Ray dans les cordes qui les utilise pour esquiver tout en souplesse et relachement, tête basse, collé au corps pour éviter le pire et qui contre, merveilleux d'intelligence

6'20 - 6'34 dans les cordes encore, imaginez-vous face au taureau qui cherche à vous étendre et qui peut le faire à chaque demi seconde, parade de l'avant bras, esquive du corps, descente dans la garde, tout y passe et pourtant Hagler tape au corps au visage, toujours devant et oppressant…

6'34, Ray qui s'arrache et martèle Hagler , même s'il n'est pas un puncheur monstre, il ne faut pas s'y tromper: il est puissant, aucun doute… au corps au visage en deux séries, il lui en place 6 ou 7 qui vous décoleraient du sol… il est sorti des cordes et Hagler est furieux.

Il en place une, Ray le travaille au corps et quatre frappes précoces de plus. Là on entre dans une autre dimension, celle du combat pur, échange constant, Ray qui relève le défi d'une certaine façon (6'58) . Même avec la fatique il trouve encore les moyens d'esquiver…inoui.

Round 11 esquives esquives et encore esquives de Ray, ça doit être fatigant de taper dans le vide…

7'30 Ray à nouveau dans les cordes esquive sur dix centimètres… qui mange qui mange et qui réplique et qui finit par sortir… casser le rythme de l'autre, ne pas se laisser noyer… et encore de l'esquive à suivre jusquà 7'47 deux trois changements de garde Hagler qui semble perdu et qui fait attention d'éviter une frappe qui aurait pu faire bien mal. Manifestement il se méfie, la fatigue rend les frappes moins précises mais les défenses aussi et un seul coup peut suffire

Dernier round

7'55 Ray qui sort du coin et déclenche une avalanche sur Hagler complètement pris dans le rythme. Extrêmement intéressant 

8.04 esquives magistrales de Ray

8'10 Ray tend son visage, penché en avant, poings en bas…, sérieux, il est ouvert et puisque Hagler (pas fou) hésite, c'est lui qui en prend un direct. Inoui. Là il n'y a plus de mots. Puissance de l'esprit.

Hagler tente un direct à son tour, frappe dans le vide, et se prend une gauche…!!!!

Ray qui prend le ki d'Hagler et joue avec dans le contretemps: démentiel quand on sait qui est devant….

8'15 petit coup de psychologie pour l'arbitre et le public, Ray lève les bras au ciel… et enchaîne sur une petite série frappe esquive, genre je fais ce que je veux maintenant (quitte à accrocher ensuite parce qu'il doit être bien crevé quand même).

8'23 il accroche et fait la tortue et place deux trois impacts

Dans les cordes à 22 secondes de la fin, Hagler qui joue sa dernière carte, combat au corps, échange de parpaings, les deux qui donnent ce qui leur reste. A un instant Ray est passé pas loin de la fin.

 

...

 

L'accolade qu'ils se donnent à la fin n'est pas de la comédie, Ray embrasse même Hagler. Le respect entre les deux est évident, aller aussi loin est donné à peu de gens. La parfaite complémentarité des styles a permis l'un des plus beaux combats de l'histoire. 

 

Ray gagne aux points. Comme quoi le monde est mal fait: en tennis le gagnant ne fait aucun doute, même si on souhaiterait parfois un match nul...

La décision fut très contestée et savoir qui gagne ici est peu intéressant je trouve. Ce qui est passionnant c'est ce qu'on peut en apprendre.

 

A mon avis une chose: tous les concepts de l'Aikido sont valides et sont ici illustrés comme dans un laboratoire. Une chose est peut-être un peu moins évidente.

Sortons du ring: le moment initial de la rencontre décide du reste. SI on subit le tempo de l'autre on est presque sûr de perdre. D'où le principe simplissime d'Hikitsuchi sensei: commencer le premier. Pas facile c'est vrai mais vital. 

Les armes ici peuvent nous aider considérablement. Et un peu de sparring pour s'entraîner à avancer. Irimi.

 

Rendez-vous à Geylang Image may be NSFW.
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 (et pas pour les filles...!)

 

 

 

 

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